Identité et histoire

 

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Les Vaudois

"Identité et histoire d'une minorité."

Écrit par Georges TOURN

Traduit de l'italien par Michel POËT

Identité :

        Qui sont les Vaudois ?

        En quoi consiste la religion vaudoise ?

        La Bible

        Prêtres ou Pasteurs ?

        Temple - Eglise

Histoire :

    Les origines

        D'où viennent les Vaudois ?

        Pauvres

        Cathares ?

        Valdo ou Pierre ?

       Comment les Vaudois arrivèrent-ils dans les Alpes ?

        Barbets

        Le GE 204 et le Cambridge XV

    Chanforan

        Encore Vaudois ? (Liste des victimes des "Pâques Piémontaise") (Itinéraire de la "Glorieuse Rentrée des Vaudois")

   La répression

        Quelles sont les raisons de cette survivance ?

    Le Ghetto

        1848, l'année de la liberté ?

    Evangélisation

Lieux (Diaspora Vaudoise au Moyen âge)

        Où les Vaudois ont-ils vécu hors des vallées ?

        Pragelas

        Würtemberg

        Luberon

        Guardia Piemontese

        Amérique

Minorité

        Minorité

        Ecole

        Français

        Patois

        Synode

        De la table à la "Tavola"

        Torre Pellice capitale ?

        Emblème de la communauté vaudoise

       Fêtes

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 IDENTITÉ

Qui sont les VAUDOIS ?

C'est la première question qui se pose, à laquelle chacun, Vaudois ou non, donne une réponse plus ou moins exacte en fonction de ses connaissances : Il s'agit d'une secte médiévale, d'une communauté condamnée par l'église, d'une population du Piémont, etc. Pour donner une première réponse synthétique et provisoire on dira : il s'agit d'une minorité religieuse qui vit aujourd'hui en Italie. On pourrait aussi utiliser le terme "Église", petite naturellement, de quelques dizaines de milliers de fidèles, mais nous préférons utiliser celui de "minorité religieuse" pour une série de raisons que nous dirons par la suite.

Cependant, définir la réalité vaudoise essentiellement sous l'aspect religieux, en parler comme d'une communauté ecclésiastique, semble en opposition avec l'opinion très répandue qui voit les Vaudois comme des Piémontais qui habitent les "Vallées vaudoises" près de Pignerole. Même si cela n'est pas faux en soi, par ce que les Vaudois peuvent, mais aussi doivent, être réunis à ces vallées, théâtre pendant très longtemps de leurs misères, on commet une erreur en les enfermant dans ce cadre géographique. En procédant de la sorte, en les comparant à d'autres groupes minoritaires qui vivent dans des zones périphériques du pays, par exemple la communauté Walser dans le val Sesia ou les Albanais dans les Pouilles et en Calabre, on perd de vue leur spécificité.

Quand on regarde la réalité, où les réalités, qui se trouvent derrière le nom de "Vaudois", il faut au contraire sortir des vallées piémontaises, élargir son propre horizon, regarder l'histoire religieuse de notre continent, parce que c'est le contexte dans lequel se place l'événement, la parole, le témoignage de la communauté vaudoise, dont la dimension spirituelle s'étend bien au-delà du cadre non seulement piémontais ou italien, tant par son importance que par son extension.

Réduire les Vaudois à des paysans piémontais serait comme réduire le mouvement franciscain aux expériences et aux perspectives spirituelles de bourgeois d'Assise. La comparaison ne semble pas absurde puisque les expériences et les perspectives spirituelles de Valdo et de François sont tout à fait semblables. Mais, on dira : François est François, un saint, les franciscains sont dans le monde entier. Au contraire, de Valdo et des quelques milliers de vaudois, qui en parle ? Si les choses se posent en ces termes ce n'est pas parce ce qu'il y a une qualité spirituelle différente, mais seulement parce que les premiers ont été soutenus et propulsés par l'Église, et les seconds impitoyablement massacrés. Découvrir la dimension européenne et non seulement piémontaise du valdéisme est donc la première opération à réaliser quand on veut en appréhender le sens profond.

Conjointement à cette ouverture d'horizon, il faut en approfondir aussi l'identité. Nous avons dit qu'elle est de type religieux et nous pourrions aller jusqu'à affirmer exclusivement religieux. Sous le profil ethnique, linguistique, social, les Vaudois ne sont pas différents de leurs concitoyens au milieu desquels ils vivent. Au Pomaret où à Bobbio Pellice (pour citer deux villages des Vallées vaudoises), à Messine où Cerignola (pour citer deux villes où existe aujourd'hui une église vaudoise) ils sont semblables à leurs compatriotes catholiques qui habitent et travaillent près d'eux. Les diversités, les caractéristiques, qui sans aucun doute existent, doivent être en premier lieu recherchées dans la profession de foi, même si on peut retrouver des caractères particuliers communs sous le profil culturel, générés par l'histoire, par les traditions, le contexte familial, la condition de minorité, qui méritent quelques attentions mais qui sans aucun doute doivent être considérés comme secondaires.

 En quoi consiste la religion vaudoise ?

Les Vaudois ne sont pas une secte qui pratique les rites et doctrines propres à une église chrétienne. Cela signifie qu'il n'existe pas une "religion vaudoise", mais tout au plus une manière de vivre la foi chrétienne caractéristique des Églises vaudoises. Cette manière de penser la foi et de réaliser la vocation chrétienne n'est pas unique, exceptionnelle. Elle est semblable à celle des autres églises chrétiennes qui font partie de la même famille spirituelle, où comme on dit de la même confession, c'est à dire les Églises évangéliques ou protestantes. A ces Églises, issues au XVI ème siècle en Europe du travail de prédicateurs et de théologiens tels que Luther, Zwingli, Calvin, adhèrent aujourd'hui, ensemble, la majorité des chrétiens d'Allemagne, de Suisse, d'Angleterre, des pays scandinaves, des États Unis. Il n'est pas superflu de rappeler qu'encore aujourd'hui, particulièrement en Italie, "chrétien" et "catholique" ne sont pas synonymes. Un peu moins de la moitié des chrétiens du monde n'appartiennent pas à l'Église romaine.

Comme toutes les Églises évangéliques, les Vaudois ont eux aussi comme base de leur enseignement la Bible (qui ne diffère en rien de celle des autres chrétiens) et le Credo, que toutes les églises chrétiennes ont en commun et qui résume les principes fondamentaux de la foi : la création et la providence de Dieu, l’œuvre du Christ pour sauver les hommes, l'action du Saint Esprit dans l'Église, le pardon des péchés, la vie éternelle. Tout ce qui constitue l'essence du christianisme se trouve donc dans la foi vaudoise. Rien ne lui est différent ou contraire.

Plus importantes sont les différences qui subsistent par rapport à la manière de vivre la foi chrétienne des deux autres grandes familles spirituelles de la chrétienté : Orthodoxe orientale et Catholique romaine. Différences qui concernent la doctrine et les pratiques, la tradition, l'organisation de l'église, l'autorité de "l'enseignement" et du pape, l'attitude d'allégeance à l'État et le comportement face aux problèmes d'éthique.

[Pour une réponse complète à tous ces problèmes, nous signalons le livre de G. Girardet, Protestanti perché, ed Claudiana]

Limitons-nous ici à quelques indications synthétiques :

 La Bible

La Bible a toujours occupé une place prépondérante dans les Communautés évangéliques et pour cela aussi dans les Églises vaudoises depuis l'origine du mouvement. Valdo commença au XII ème siècle sa recherche de la foi, se faisant traduire des passages de l'Écriture, qu'il lisait et commentait ensuite en public. Les livres bibliques, et les morceaux du Nouveau Testament, feront partie de la littérature que les responsables du valdéisme médiéval (les barbes) lurent et étudièrent.

La Bible eut une importance particulière après la Réforme protestante. Elle se fondait sur la conviction que la foi chrétienne ne peut naître que d'une prédication correcte de l'Écriture. L'Église chrétienne, disaient les réformés, dispose d'un seul critère pour valoriser sa foi en Jésus Christ : prêcher correctement le contenu du message évangélique et administrer les sacrements comme le lui a enseigné le Seigneur. Ces hommes étaient mus par la conviction que la parole de Dieu, qui est sa révélation, sa volonté et sa connaissance, se trouvent uniquement dans l'Écriture parce qu'elle représente l'unique témoignage de la prédication des prophètes et des apôtres dont nous disposons aujourd'hui.

Les Communautés vaudoises adhérèrent à cette vision de la foi, confiant à Olivetan (cousin de Calvin) la traduction de la Bible en français (à cette époque une forte quotité du mouvement se situait en Provence). Éditée en 1535, elle fut, comme la traduction de Luther et de Zwingli (de peu antérieure), un événement fondamental, parce que le texte sacré était dans la langue parlée par le peuple et était traduit non pas du latin mais des langues originelles, l'hébreu et le grec. Pour valoriser la portée de ces choix il faut se souvenir que l'Église romaine décréta au contraire quelques années plus tard que le vrai texte était celui en latin (c'est comme déclarer que le vrai texte de la Divine comédie est la traduction française), et qu'on ne devait pas le lire dans les langues populaires.

Les Vaudois utilisèrent cette traduction d'Olivetan pendant des décennies en parallèle à la traduction italienne de Giovanni Diodati. Ce dernier était un Genevois, descendant d'une des grandes familles évangéliques de Lucca, réfugiées à Genève au XVI ème siècle à cause de leur foi. Professeur de théologie, il publia en 1606 une belle traduction en langue toscane qui est restée en service jusqu'à maintenant dans les Églises évangéliques italiennes. Des refontes ont eu lieu, la dernière dans les années 20, qui a donné le texte d'aujourd'hui dit "la Riveduta".

Ce profond attachement à l'Écriture a fait que, pour les Vaudois, son étude et sa diffusion sont considérées comme primordiales. Au siècle passé, quand sa connaissance était quasiment nulle dans notre pays (même si aujourd'hui ce n'est pas encore brillant), les colporteurs s'employèrent à la répandre. C'étaient des vendeurs ambulants qui allaient de maison en maison, sur les places, sur les marchés, vendant Bibles, Évangiles et extraits.

[ A. Deodato, Vicende di un colportore nella Sicilia di fine '800, opuscolo 1983 ].

Toujours sur le thème de la Bible il faut se souvenir que la première autorisation d'imprimer le Nouveau Testament dans la Cité des Papes fut donnée par le gouverneur de la République romaine de Mazzini en 1848 ! Édition dont il n'existe aujourd'hui que peu d'exemplaires puisque le gouvernement du Pape, de retour dans la capitale, les fit tous détruire. Les Bibles rentrèrent cependant par l'ouverture de la "Porta Pia" en 1870, sur la charrette d'un colporteur, tirée par un robuste chien.

De nombreuses communautés évangéliques sont nées de la rencontre avec une Bible. Le témoignage d'un croyant : un exemplaire trouvé par hasard. La présence vaudoise dans l'île d'Elbe, pour ne citer qu'un exemple, est due à un capitaine qui transportait des Bibles depuis la France, en cachette naturellement, puisqu'en Toscane elle était interdite à la vente.

L'imprimerie que fondèrent les Vaudois au milieu du XIX ème siècle (dès que les droits civils leur furent reconnus) fut appelée "Claudiana" pour un motif particulier : en reconnaissance à un évêque catholique (Claude de Turin) du VIII ème siècle, qui avait combattu courageusement la superstition dans son diocèse et s'était très fortement impliqué pour diffuser les Écritures par des commentaires et des prédications.

 Prêtres ou pasteurs ?

Dans les églises vaudoises, comme dans toutes les églises chrétiennes, des personnes qui consacrent toute ou partie de leur vie à l'église, sont pour cette raison, appelées "ministres" (on parle en fait de ministère épiscopal, pastoral, diaconal, etc.). Les Vaudois ont suivi dans leur organisation les indications des lettres apostoliques et ont reconnu comme "ministres" : les diacres, les anciens (qui dans la langue grecque du Nouveau Testament si disait "presbytères") et les pasteurs (on peut noter que dans le dialecte des Vallées vaudoises le terme de pasteur n'est jamais utilisé, mais que s'est maintenu l'ancien vocable du XVII ème siècle "ministre" : d'où aujourd'hui "mniste", "mnître").

Les divers "ministres" ont (comme dans toutes les églises chrétiennes) des tâches diverses. Les anciens, qui en nombre constituent la majorité, ont aujourd'hui la responsabilité de guider, d'orienter. Dans le passé leur devoir de direction spirituelle était plus marqué. Le pasteur a essentiellement le devoir de prédication et d'enseignement, tant sous la forme de prêches pendant le culte que dans l'instruction des jeunes et des adultes. Le diacre lui, se voit confier la tâche de l'administration de la vie communautaire, la prise en charge des aspects organisationnels (pour ce qui était de ses activités d'assistance, d'aide aux personnes dans le besoin, aux malades et aux indigents, elles sont aujourd'hui reprises par les organismes publics ou par des institutions caritatives qui auparavant n'existaient pas).

La diversité des ministères est soulignée par le fait que seulement celui de pasteur est soumis à la mobilité et implique une préparation. Alors que les diacres et les anciens exercent leur ministère dans le lieu où ils vivent, les pasteurs se déplacent suivant les exigences générales, d'une église à l'autre, reprenant en quelque sorte l'apparence des apôtres. Tant et si bien que ce déplacement est devenu aujourd'hui une obligation. Aucun pasteur ne peut rester plus de 14 ans à la même place, alors que, jusqu'à une cinquantaine d'années, il pouvait exercer sans limitation dans le temps (de même que pour le curé catholique il était dans le temps pratique, et plutôt idéal, de rester toute sa vie dans la paroisse qu'il avait en quelque sorte épousée).

Pour devenir pasteur, il est demandé un cursus d'étude de quelques années dans les matières inhérentes à une telle activité : La Bible (qu'il faut étudier dans les langues originelles : l'hébreu et le grec), l'histoire de l'église, la doctrine de la foi chrétienne et les matières spécifiques à la prédication, l'enseignement, le contact avec les fidèles (qui dans le langage évangélique se dit "charge d'âme" (terme traduit de l'allemand Seelsorge ; les catholiques parlent précisément de "pastorale")). La durée des études est de 5 ans, 4 d'entre elles à la faculté de théologie de Rome, et une dans une université extérieure, à la fin de laquelle le candidat effectue une période d'essai et de pratique pastorale auprès d'un pasteur plus ancien. Sa préparation se termine par un examen public, au cours duquel il répond à des questions concernant sa foi et sa vocation, et une cérémonie au cours de laquelle est reconnue sa vocation et lui est confiée sa nouvelle tâche. Pour dénommer cette cérémonie, on utilise le terme "consécration" ; d'autres Églises utilisent le vocable "ordination".

Malgré cette diversité d'études, d'activités, de formations, tous ces ministères ont en commun deux caractéristiques : ils sont électifs et n'ont pas de caractère sacerdotal.

Électifs, parce que le choix des anciens, des diacres, des pasteurs, est fait par l'assemblée des fidèles et non par une autorité externe (il ne s'agit pas là d'une innovation protestante, puisque c'était la pratique de l'église ancienne). Des "Pères" de l'Église comme Augustin ou Ambroise, qui bien que n'étant même pas "ministres", ont été élus évêques par le peuple. Le fait qu'on ne parle pas d'un sacerdoce est encore plus révélateur : recevoir un "ministère" signifie recevoir une fonction, pas un titre particulier. Une fonction qu'on remplit et qui peut être révoquée ou abandonnée sans problème, alors qu'un prêtre catholique romain ne peut pas redevenir un simple fidèle sans une procédure particulière de la part de l'autorité ecclésiastique. Cela signifie qu'un "ministre" n'est pas un prêtre, et qu'il n'y a rien (comme administrer les sacrements) qu'il puisse lui seul faire et non pas un simple fidèle. Par conséquent il n'y a aucun empêchement à ce qu'un "ministre" se marie (aussi bien homme que femme). C'est pourquoi l'Église vaudoise a admis dès 1962 le ministère pastoral des femmes.

Les "ministres" d'une communauté font partie du Conseil d'église ou Consistoire. Là aussi, il ne s'agit pas d'une innovation, mais d'une réalité qui appartient à la tradition chrétienne la plus ancienne. Dans l'Église romaine d'aujourd'hui le Consistoire est la réunion des cardinaux. A Genève, au temps de Calvin, il était le conseil des magistrats et des pasteurs chargés de maintenir la discipline. Ce conseil de direction est responsable de la vie de la communauté sous tous ses aspects. Il a la même fonction qu'ont dans d'autres Églises les évêques (évêque vient du grec "épiscopal", qui signifie simplement surveiller).

 Temple - Église

L'usage du terme "tempio" pour indiquer le lieu de culte, encore fréquent dans le langage du monde vaudois, provient du "temple" français, terme habituel dans le monde huguenot. Cela est très singulier parce qu'on n'utilise pas le langage chrétien, mais païen. Les Grecs, les Romains, les Indiens et aussi les Hébreux avant le Christ, avaient des temples. Les chrétiens ont des églises. S'agit-il d'un comportement polémique vis-à-vis du catholicisme ou bien ce choix a-t-il une valeur théologique ?

Cependant bien qu'impropre, mais éloquent, le terme "temple" sert à indiquer que le local est une chose et l'église en est une autre. L'édifice dans lequel le peuple des croyants se rassemble n'a pas de caractère sacré (en conséquence il ne peut être ni consacré, ni "déconsacré"). Il sert uniquement de lieu de rencontre. L'Église c'est la communauté, ce sont les gens. Sans l'assemblée le local est vide. Ceci explique pourquoi au cours de la semaine, quand il n'y a pas de cultes, d'assemblées, de rencontres, le local reste fermé, à l'inverse des églises catholiques qui sont toujours ouvertes comme lieu de prière et de dévotion.

Dans un local vaudois, et en général évangélique, on ne trouve par conséquent pas d'autels, de tableaux, de confessionnaux et toutes les structures qui caractérisent l'expression de la religion catholique. On comprend ainsi "le pourquoi" du maigre intérêt des Vaudois pour leurs temples. Détruits et reconstruits au travers des siècles, ils ont probablement acquis peu à peu un aspect plus décoré, mais restent d'un profil architectural et artistique malgré tout insignifiant. On peut se faire une idée de l'aspect des premiers édifices (ceux construits à l'époque de la Réforme, vers 1550) à partir du temple de Ciabas (littéralement "la grande baraque") entre Angrogne et San Giovanni ou celui de Villeseche. Ce sont de grandes bâtisses, avec peu de fenêtres, couvertes au mieux (très probablement en paille), servant seulement de protection contre les intempéries, avec une petite estrade pour le prédicateur et quelques troncs d'arbre pour faire asseoir les dames et les personnes âgées.

Le local reflète les personnes qu'il accueille. Il ressort de la documentation la plus ancienne que la disposition de l'assemblée est très parlante. La chaire du prédicateur était adossée à une des parois longues du bâtiment. En face, les bancs étaient disposés en carré. Une tribune en face de la chaire était rare. Au pied de cette dernière on trouvait (comme à Villeseche) le banc des anciens ou une petite estrade d'où le "maître" lisait l'Écriture et dirigeait le chant. Quand on célébrait la communion (selon le rite réformé quatre fois par an), on installait une table dans l'espace vide entre les bancs, sur laquelle on mettait le pain et le vin. C'est sur la table de la communion que les fidèles (en général le chef de famille) déposait l'offrande qui permettait aux diacres d'assister les personnes dans le besoin. C'est seulement à une époque récente qu'a été introduit l'usage d'offrandes chaque dimanche.

Il est à noter que le culte évangélique s'est caractérisé depuis l'origine par deux éléments principaux : grande simplicité et utilisation de la langue parlée par le peuple des fidèles. Ce qui a été imposé par la réforme liturgique du Concile Vatican II à l'Église romaine était déjà réalisé depuis plus de quatre siècles par les Églises évangéliques. Il faut se souvenir que la liturgie, c'est-à-dire le déroulement du culte, n'est pas le fruit d'une pure invention. Il suit celui de l'ancienne Église chrétienne (la même que l'on retrouve dans la messe) à une différence près : à la présidence peut être appelé n'importe quel croyant, homme ou femme, "ministre" ou laïque. La célébration eucharistique n'a pas besoin de prêtres. Ce n'est pas un sacrifice, mais la commémoration du sacrifice du Christ et l'invocation de son esprit.

Les éléments du culte sont donc ceux pratiqués traditionnellement : lectures et explication des Écritures, prières, confession des péchés, sacrements (baptêmes et Cène du seigneur), chants. Ce dernier élément a toujours été d'un intérêt et d'une importance particulière dans la vie religieuse des Évangéliques. Les recueils d'hymnes sont très nombreux et leur nombre indéterminé (il y a des communautés où l'on peut dénombrer jusqu'à 600 mélodies). Dans les Églises calvinistes (et par conséquent vaudoises) on ne chantait jusqu'à fin 1800 que les 150 psaumes de David (ceux contenus dans la Bible) mis en musique à l'époque de la Réforme.

Bien que cela reste aujourd'hui encore le schéma général du culte vaudois, de nombreuses innovations furent introduites au cours des années à l'identique de ce qui est survenu dans d'autres communautés chrétiennes : dans les dispositions de l'assemblée, dans la liturgie, dans le chant, dans la collecte des offrandes, si bien qu'un jeune d'aujourd'hui aurait quelque difficulté à se retrouver dans l'Église du temps de ses grands-parents et, à l'inverse, un arrière-grand-père aurait quelque difficulté à se retrouver dans un culte d'aujourd'hui, même si les caractéristiques essentielles restent immuables.

Réexaminons maintenant à la lumière de ce qui à été dit jusqu'ici sur leur particularité religieuse, la formulation donnée au départ : "les Vaudois, une minorité religieuse qui vit aujourd'hui en Italie".

S'ouvrent alors devant nous trois pistes de recherche :

- La première concerne l'histoire. Lorsqu'on dit "aujourd'hui", nous laissons supposer qu'hier était différent. Dans ce contexte, où se trouvaient les Vaudois dans le passé ?

- La seconde concerne la géographie. Lorsqu'on dit "en Italie" : on soulève une série d'interrogations : d'où sont-ils, comment et pourquoi ?

- La troisième concerne leur identité. Pourquoi parler de "minorité religieuse" ?

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HISTOIRE

Le fait vaudois peut être lu de différentes manières : le témoignage que des croyants simples et marginaux ont rendu à Jésus Christ, un long chemin de souffrances dans la foi évangélique, une bataille pour la liberté de conscience. A ces lectures toutes vraies, qui se complètent, nous proposons d'en ajouter une autre : les Vaudois ont été une minorité active dans les mouvements de développement et de croissance de notre pays et ils ont su résister dans les siècles de répression et d'isolement.

Quand il naît vers 1170, le mouvement vaudois obtient un grand succès et s'affirme comme un facteur religieux déterminant dans les villes de l'Europe occidentale : de Milan à Toulouse. Les "Pauvres" (c'est ainsi qu'on les appelle) sont présents avec leurs propres propositions, particulièrement dans le cœur de la civilisation communale (au moment du changement historique) où se créent les structures d'un nouvel ordre social. Mais ce grand renouveau de la conscience chrétienne est perçu par les pontifes du temps comme une menace. Elle fut réprimée en utilisant d'une part la prédication de nouveaux ordres religieux (franciscains et dominicains), d'autre part l'Inquisition. Les Vaudois, avec tous les autres mouvements dissidents mis en accusation (et ils étaient nombreux à cette époque), furent condamnés. Quand ils réussirent à survivre, ce ne fut qu'en se réfugiant dans les zones périphériques ! De phénomène citadin, ils devinrent une réalité rurale et restèrent ainsi pendant des siècles.

Quand survint la Réforme protestante vers les années 1520 - 1540 du XVI ème siècle, l'expansion vaudoise se renforce de la présence des Églises protestantes de Suisse et de France. De nouveau c'est un moment de profonde transformation de la société italienne dans laquelle agissent les grandes forces du "Rinascimento" et de l'Humanisme. Le Pape intervient aussi dans ce cas, pour la défense de la foi traditionnelle, et pour la défense de sa propre prééminence religieuse et politique. En reprenant le schéma des trois siècles précédents, les nouveaux ordres religieux (capucins et jésuites) et l'Inquisition contribuent à supprimer toute voie de dissension. Pendant que la majorité des évangéliques part en exil, les Vaudois seront chassés dans les vallées alpines où ils survivront jusqu'à l'époque contemporaine.

Mais quand, après l'époque napoléonienne, éclatera la révolution de 1848, ils réapparaîtront sur la scène italienne, cette fois nationale. Dans le climat de liberté qui accompagne ces années et aboutit alors au "Risorgimento", ils reprendront leur expansion dans l'Italie unie, avec le même esprit qu'au XII et XVI ème siècle et avec la même intention : participer au renouveau de la conscience religieuse et civile de ses concitoyens. De cette œuvre de présence, "critiquement" constructive, naîtra la communauté vaudoise d'aujourd'hui.

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1. Les origines

D'où viennent les Vaudois ?

A cette question chacun sait répondre pour le moins : en Italie. "Vaudois" dérive de Valdo, nom d'un personnage qui vécut à Lyon vers 1170 - 1180, dans lequel un groupe de ses concitoyens vit un apôtre du christianisme authentique reprenant le choix de pauvreté.

Valdo, après avoir renoncé à sa vie de riche marchand et donné ses biens aux pauvres, prêcha la pénitence dans les rues de Lyon. C'est ce choix, qui avec la lecture de l'Évangile, explique qu'ils se disent apôtres de la "bonne nouvelle" comme les premiers disciples de Jésus. Chassé avec ses disciples par l'évêque de Lyon, il fut ensuite excommunié par les divers conciles et victime de la répression sans pitié de l'Inquisition.

Quel est le motif de cette exclusion par l'église ?

Ils n'étaient pas hérétiques, ils ne niaient aucune doctrine chrétienne, ni l'Évangile, ni le Credo, ni les sacrements. Ils revendiquaient seulement la liberté de prêcher la parole de Jésus comme l'avaient fait les apôtres. Le seul motif de cette exclusion fut donc leur refus de se soumettre à l'autorité sans en être persuadé par "les Écritures". Ils ne sont pas des rebelles, tant s'en faut, mais ils refusent d'identifier la parole du Christ avec la parole de l'Église. Entre l'Église et l'Évangile, c'est ce dernier qui fait autorité. [ G. Tourn, "Valdo e la protesta valdese", opuscule de 1974]

 Pauvres

Valdo et ses amis ne s'appelèrent pas Vaudois, mais "pauvres", pauvres "du Christ", pauvres "en Esprit", non seulement parce qu'ils avaient choisi de vivre dans la pauvreté, mais parce qu'ils se reconnaissaient dans la première Béatitude qui dit précisément : "heureux les pauvres en Esprit, le royaume des cieux leur appartient". Le sermon de Jésus sur la montagne (Mathieu chapitre 5-7) est un passage de la Bible que les Vaudois aiment particulièrement et qu'ils considèrent comme le plus important pour la vie de la foi.

Le nom de "Vaudois" ne fut donc pas choisi par Valdo et les siens, mais "affublé" par leurs ennemis, par les inquisiteurs, par ceux qui voulaient en quelque sorte les marginaliser.

 Cathares ?

Les "Vaudois" sont souvent associés à un mouvement religieux de la même époque, celui des Cathares albigeois, dont les vicissitudes sont parmi les plus tragiques et les plus fascinantes de l'histoire européenne. Cathare dérive d'un mot grec qui signifie "pur". Selon ce mouvement, les purs sont ceux qui ne se contaminent pas au contact du monde, mais vivent dans la lumière et dans la connaissance de "l'Esprit". La secte avait des principes très rigoureux, et imposait à ses adeptes un style de vie très rigide avec une tendance végétarienne et le refus de la procréation. Elle était naturellement très critique envers l'Église romaine, sa puissance et ses richesses. Les "parfaits", c'est-à-dire les responsables du mouvement, allaient par deux au travers du pays, prêchant leur doctrine, accueillis par les faveurs du peuple pour la cohérence et le sérieux de leur vie.

Le mouvement cathare fut anéanti par une croisade organisée par le pape Innocent II en 1208. Y participèrent tous ceux qui voulaient défendre la foi catholique, mais aussi saccager et conquérir les terres du Languedoc et de la Provence (parmi les plus évoluées et les plus riches d'Europe). La conséquence fut qu'en plus de la destruction de l'hérésie cathare, la civilisation occitane le fut aussi.

Les "Pauvres" ne partageaient rien de la théologie cathare (peut-être seulement les critiques envers l'église "mondanisée") parce qu'ils s'en tenaient rigoureusement au Credo. C'est pourquoi les premiers personnages instruits du mouvement "disputaient" contre les Cathares pour défendre la foi chrétienne.

Cependant, avec difficulté, des groupes de Cathares survécurent à la croisade. Le dernier bastion du mouvement fut "la roche de Montségur", où se retranchèrent les derniers parfaits et les fidèles les plus pieux. A l'issue d'un siège désespéré, ils se suicidèrent pour ne pas tomber entre les mains des inquisiteurs.

Naturellement, après leur excommunication, les Vaudois furent souvent assimilés aux Cathares par le peuple et les inquisiteurs.

 Valdo ou Pierre ?

Le marchand de Lyon connu sous le nom de Pierre Valdo ne s'appelait en réalité ni Valdo ni Pierre. Pas Valdo parce que s'il avait eu un nom latin (chose peu probable) cela aurait été Valdus, s'il s'était agit d'un nom franco-provençal cela aurait été Valdès ou Vaudès (comme on préfère le dire aujourd'hui). Mais cela a peu d'importance puisque tout le monde le connaît sous le nom de Valdo.

Le nom de Pierre est par contre plus intéressant.

Il n'apparaît dans aucun document de l'époque, mais plus tardivement dans la correspondance de certains groupes vaudois. Pourquoi ce silence ? Peut être a-t-il été transcrit pour quelque motif, mais il est plus raisonnable de penser que ce furent les Vaudois qui l'attribuèrent à Valdo. Face au Pape qui vivait dans la richesse, revendiquait un pouvoir absolu, persécutait ceux qui étaient de fidèles disciples de Jésus, Valdo avait vécu dans la pauvreté, prêchant et souffrant. Les Vaudois furent convaincus que le vrai successeur de Pierre n'était pas le Pape, mais Valdo. Il était ainsi comme un nouveau Pierre envoyé par Dieu pour réformer l'Église conformément à la volonté du Christ.

 Comment les Vaudois arrivèrent-ils dans les Alpes ?

On dit que ce fut pour y chercher refuge après leur expulsion de Lyon. En réalité ni Valdo ni ses disciples n'eurent rien à voir avec les vallées alpines devenues depuis les zones vaudoises. La présence des "Pauvres" n'y est recensée que vers le début de 1200. Il est à exclure qu'ils soient des fuyards de Lyon ou de la Provence qui y cherchaient refuge.

Les Vaudois de la zone alpine sont donc des habitants de la région convertis aux idées de Valdo par des gens venus de l'extérieur (de la Provence ou plus probablement de Lombardie). Il faut se souvenir que ces vallées étaient alors des voies de trafic intense et que l'axe de communication international entre la Lombardie et la Provence passait par le Montgenèvre. Les marchands ou les pèlerins, Vaudois eux-mêmes ou connaissant le mouvement des Pauvres, ont fait œuvre de prosélytisme. Ainsi des noyaux importants de population locale ont adhéré aux nouvelles idées religieuses.

Naturellement, du Moyen Âge à nos jours des siècles se sont écoulés pendant lesquels tant et de tels changements sont survenus que les populations des Vallées se sont totalement renouvelées par les immigrations postérieures, de nouveaux habitants venant des zones voisines : Piémont et Provence.

 Barbets.

Jusqu'à quelques années, en Piémont, les Vaudois étaient appelés dans le langage commun "barbet", "barbetti", dérivé du mot "barba" (bàrbanus en latin) qui dans les langages de l'Italie septentrionale indique l'oncle, au sens de la parenté, mais aussi une personne âgée qui mérite le respect. Il ne s'agit pas de la barbe. Le pluriel de "barba" est naturellement "barba". Les "barbi" (italien) et les "barbes" (français) sont des erreurs inacceptables pour qui connaît le provençal !

Cette appellation, et sa forme féminine "zia" [tante] (barba/magna dans le val Pellice, abrégé en bar/dan dans le val St Martin, suivi du nom : barba Pierre ou magna Maria, bar Pierre et dan Mario) a été présente jusqu'à une époque récente dans l'usage dialectal pour indiquer une personne âgée. L'âge susceptible de mériter cette appellation variait naturellement suivant les individus. Pour les enfants et les adolescents toute personne qui avait dépassé la quarantaine était un "barba". Cette autorité était aussi soulignée par l'usage du "voi" [vous] lorsqu'on s'adressait à lui.

Il est cependant certain qu'en opposition avec la langue actuelle, qui oscille entre le "lei" respectueux et le "tu" [tu] familier et populaire, toute relation faisait antérieurement l'usage du "voi" [vous], même dans les relations familières les plus intimes, entre époux, avec les enfants ou tout simplement avec les animaux.

Ceci n'explique pas cependant les "barbetti" vaudois. L'expression, qui apparaît, vers 1560, avec un sens méprisant à la Cour de Savoie, sera couramment utilisée au siècle suivant. Cela vient du fait que dans la période médiévale les Vaudois voulaient, par ce terme, indiquer leurs responsables, leurs guides spirituels. Les "barbetti" sont donc les fidèles des "barba". Le premier vaudois dénommé de la sorte fut Martin Pastre en 1330. Mais pourquoi utiliser ce terme ? Très certainement en opposition à l'usage consistant à appeler "père" le prêtre. C'est un usage en contradiction avec les paroles de Jésus qui dit à ses disciples : "Ne vous faites pas appeler père puisque vous n'avez qu'un seul père, celui du ciel. Vous êtes tous frères" (Mathieu 20:56).

Le peu d'informations sur les "barbes" vaudois que nous possédons se rapportent à leurs procès (toujours terminés par une condamnation) et aux témoignages du côté vaudois. Le mémoire que le barbe Morel de Freyssinière envoya en 1530 aux réformés de Basilea et Strasbourg présente à cet égard un intérêt particulier.

Les Vaudois avaient de tous temps des prédicateurs itinérants, mais c'est au XV ème siècle que l'image du "barbe" devient bien définie dans le cadre d'une organisation bien structurée.

Dans la majorité des cas il appartient à une famille vaudoise de longue date qui l'encourage et le soutient dans son choix. Il commence sa formation en accompagnant un barbe "anziano" [ancien] qui l'initie à la connaissance des lieux et des personnes qu'il visitera. Il le fait entrer dans la vie d'un clandestin. Il lui enseigne à vivre comme un agent secret en pays ennemi, évitant les dangers, les lieux dangereux, les délateurs. Pour masquer leur réelle identité, les deux barbes doivent se déguiser. Ils sont des marchands ambulants, des muletiers (les transporteurs d'antan), qu'il est naturel de voir aller et venir régulièrement sur les routes. Ils se fondent aussi parmi les pèlerins qui se rendent à quelque sanctuaire.

En écoutant son compagnon plus ancien, le jeune barbe apprend à connaître la doctrine vaudoise qu'il devra délivrer aux fidèles. Cependant, pour l'approfondir, ils se retirent, particulièrement en période hivernale moins propice aux voyages, dans des endroits cachés, où il vit et étudie avec d'autres compagnons, sous la férule d'un barbe expérimenté. Au lieu d'étudier des livres, qui à cette époque n'existaient pas, il apprend par cœur des morceaux des Saintes Écritures ainsi que tout ce qu'il doit savoir. A cette époque la culture se transmet par voie orale, les choses se disent, se racontent.

 Le GE 204 et le Cambridge XV

Mais le barbe a aussi sa bibliothèque, certes minuscule, mais qui en fait une personne instruite à une époque où 5 à 6% de la population sait lire et écrire. Pour nous une bibliothèque est une série d'étagères couvertes de volumes alignés. Celle des barbes tient entièrement dans sa main. Elle est formée d'un de ces manuscrits qui nous sont miraculeusement parvenus, qui se trouvent dans les bibliothèques européennes (Genève, Cambridge, Dublin). On se demande comment il est possible de faire tenir tant de choses dans une poignée de feuillets de parchemin de 10x14 centimètres ? Ils écrivaient en petits caractères et en abrégé.

Dans cette bibliothèque se trouve l'essentiel pour la prédication et l'enseignement : sermons, catéchisme, traité de théologie, poèmes, passages bibliques. Certains textes sont en latin (la langue de la culture du temps) mais pour la plupart, ils sont rédigés dans une langue de la famille du provençal qu'aujourd'hui les "étudiants" appellent la langue vaudoise parce qu'on ne la retrouve que dans ces écrits des barbes.

Il peut être intéressant de la comparer au langage d'aujourd'hui. Les ressemblances et les différences sautent immédiatement aux yeux. En voici un exemple extrait du livre Pensiers.

 Oyt cosas son que nos deven pensar per chascun dia.

La prumiera es pesar de Dio, de cal es tot don perfeyt, que nos pausan en luy totas las nostras deleitacions e l'esesperancza e li goy, e cuntemplan lui per las nostras purgacions. Dont dis lo propheta : "Gieta lo teo pensier en Dio, e el nurire tu". E sant Gregori dis : "Yo ai perdu tot lo temp que yo non ai pensa de Dio".

Lo segont pensier es del seo Filh, ço es del nostre Segnor Ihesu Christ, ço es de la vita e de la mort de lui; que nos sostegnan tribulacions e angustias per la soa amor, enayma el sostenc per nos peccadors...

Lo tercz pensier es de la vita de li sant e de la mort...

Lo quart pensier es de la nostra vita, ço es a saber, al calluoc no sen, cal cosa faczen...

Lo V pensier es de la nostra mort...czo es del cors, la cal deo esser mot sospietosa derant li nostre olh...car la mort t'espera en tot luoc...

Lo VI pensier es dal dia del judici, la cal luoc nos sn a rendre raczon de li nostre pecca...

Lo 7 pensier es del l'enfern, que nos desian la corona de la vita eterna.

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2. CHANFORAN

Nous avons expliqué qu'avec la Réforme protestante, le mouvement vaudois reprend son expansion, revivifié par la rencontre avec la théologie de Luther, Bucer, Oecolampade. Il sort de la clandestinité et conquiert les places. Il touche les classes émergentes de la bourgeoisie et de l'artisanat de l'époque préindustrielle, ainsi que les hommes de culture. Les barbes laissent la place aux prédicateurs que nous pourrions rapprocher des journalistes d'aujourd'hui. Ce sont souvent d'ex-frères ou d'ex-prêtres. Ils ont fait de vraies études. Le point de départ de leurs discours est toujours un passage de l'Écriture de laquelle ils tirent leur inspiration pour ramener la foi chrétienne à ses origines.

Aujourd'hui encore, dans les églises hollandaises, les pasteurs sont appelés "predikant" pour montrer vraiment l'importance de l'explication de la Bible dans le prêche.

Il s'ensuit deux obligations : disposer de Bibles et d'un local pour se réunir.

On a déjà parlé des Bibles : celle en français fut commandée à Olivetan par l'assemblée des barbes à Chanforan en 1532, lorsque fut décidée l'adhésion au mouvement de la Réforme.

Trouver des locaux adaptés au culte fut plus difficile. Là où la totalité de la population passa à la Réforme les lieux de culte catholique furent purement et simplement transférés au culte évangélique. Dans les vallées qui dépendaient des "Savoie" (Pellice et Germanasca) on construisit des édifices appropriés vers 1550 (Angrogne, Coppier de la Tour, Rocheplatte, Villeseche).

Ce furent des années de débats passionnés et d'expansion de la foi évangélique en Suisse et en France voisine, mais aussi en Italie, tout particulièrement en Piémont. En fait, contrairement à ce que l'on croit, les protestants ne furent pas uniques dans le Nord de l'Europe. Le mouvement évangélique pénétra beaucoup plus qu'on ne le pense notre pays.

[ A. Armand Hugon, La Riforma in Piemonte, vicende e personaggi (La Réforme en Piémont, misères et personnages), opuscule de 1969. Pour la Réforme en Italie voir le livre de Salvatore Caponetto : La Riforma in Italia (La Réforme en Italie) édité par la Claudiana en 1992].

 Encore Vaudois ?

Ces barbes, devenus prédicateurs quasi clandestins, qui deviennent protestants et commencent à construire des églises sont-ils encore Vaudois ? Non, répondent certains car les disciples de Valdo, "les pauvres de Lyon", qui avaient vécu comme un mouvement de renouveau de l'Église romaine, sont une chose, mais en entrant dans le monde protestant, ils sont devenus autre chose. Ils ont changé totalement d'idées, d'habitudes, de théologie. Maintenant ils sont protestants et "basta". On ne peut plus leur donner le nom de Vaudois.

Du point de vue de ceux qui étudient l'histoire comme une évolution de la société cela est exact : quand on change, on ne peut plus être comme avant. C'est pourquoi les hommes de cette époque eurent le sentiment d'un grand changement. C'est si vrai que lorsqu'ils se rendirent devant le Duc (de Savoie) pour lui présenter leur profession de foi ils ne le firent pas comme Vaudois, mais comme "les Chrétiens de la vraie Église catholique, apostolique, réformée de tout le Piémont". Cependant l'historien Gilles, en 1643, intitula son livre: "Histoire des Églises Réformées du Piémont autrefois appelées vaudoises". Par ces termes, il se référait à ce qui était "avant", c'est-à-dire à la période vaudoise, pour indiquer que malgré la diversité de forme, la foi était restée la même.

Les "Pauvres" en tant que communauté, que phénomène historique, sont "finis". Leur témoignage et leur prédication se poursuit sous d'autres formes dans les Églises réformées qui en ont repris le nom.

Du point de vue purement historique "les Vaudois" ont pris fin à Chanforan quand ils ont adhéré à la Réforme protestante. Cependant spirituellement leur identité se prolonge dans la nouvelle église.

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3. LA RÉPRESSION

L'expansion des "Vaudois - réformés" fut rapidement interrompue, dans les années 40 du siècle de la répression catholique et ensuite, en 1559, lors de l'offensive des princes catholiques : Philippe II d'Espagne, Henri II de France, Marie Tudor d'Angleterre, et Emmanuel-Philibert de Savoie.

Pendant deux siècles deux mondes se rencontrèrent dans la violence : le Catholique conduit par le Pape et géré par les Jésuites, et le Protestant, avec à sa tête la Suisse de Gustave Adolphe, l'Angleterre de Cromwell puis de Guillaume III, les Cantons suisses avec Genève. La zone vaudoise des Alpes , avec ses tristes successions de guerres, de massacres (telles les Pâques piémontaises en 1655, ou ceux de 1686), les exils, ne fit pas exception. Le fait que le conflit dura plus longtemps qu'ailleurs et ne se termina pas, comme ailleurs, par une défaite du monde protestant, lui donne un éclairage particulièrement intéressant dans le paysage de l'histoire de l'Europe. On peut parler de défaite si on considère que ce fut comme une partie de football qui se termine par 2 à 3. Les Vaudois furent, il est vrai, contenus sur les montagnes et leur présence supprimée des vallées (tel Saluse où Pragelas) ou ils avaient connu une forte implantation. Ils ne furent cependant pas anéantis malgré la disproportion de force en leur désavantage, alors que d'autres communautés beaucoup plus nombreuses, en France, en Pologne, en Istrie, en Bohème, en Hongrie, furent anéanties par la Contre - Réforme.

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Quelles sont les raisons de cette survivance?

Les raisons de cette survivance sont certainement nombreuses et concomitantes. Nous n'en mentionneront que trois principales :

La première est d'ordre géographique : les zones vaudoises sont situées en montagne. Ce constat peut sembler banal, mais chacun en comprend le poids vis-à-vis des événements.

Si les Vaudois avaient habité des villages en plaine, leur destin aurait été celui des protestants polonais : abjuration ou exil. En se trouvant dans un cadre qui permettait une vraie défense, ils surent en profiter, en développant une guérilla partisane, qui trouva en Janavel au milieu du XVIII ème siècle son expression la plus accomplie. Dans les conditions où opéraient les armées du XVI ème et   XVII ème siècle, avec des cavaliers et des artilleries peu mobiles, habituées aux batailles rangées, le combat était à l'avantage de formations légères, aptes à se poster rapidement et à fuir en cas d'infériorité.

Le facteur naturel n'aurait cependant pas été suffisant s'il n'avait pas été accompagné d'un autre élément plus important : la politique. Un examen de la carte met en évidence quelques éléments. Avant tout, on remarque la disposition des vallées vaudoises dans une zone frontière inévitablement instable et conflictuelle. La vallée du Pellice (dénommée alors val Luserne, du nom des seigneurs qui la gouvernaient : les comtes de Luserne) et de la Germanasca (dénommée alors Saint Martin parce que son plus ancien lieu de culte chrétien était dédié à St Martin) étaient à cette époque sous la domination des "Savoie". Elles jouxtaient le Dauphiné, territoire devenu partie du Royaume de France au XVI ème siècle. Deux choses sont fondamentales pour notre histoire : le Dauphiné comprenait alors, outre les territoires actuels sur le versant occidental des Alpes, trois zones actuellement piémontaises, situées au-delà des Alpes : le haut val Varaita, avec comme capitale Chateau-Dauphin, le val Chisone et le haut val de Suse dont le centre est à Oulx. En second lieu, ces territoires étaient fortement protestants. Il était donc normal qu'en cas de besoin ils demandent de l'aide à leurs coreligionnaires des vallées savoyardes. La présence française qui était déjà forte dans cette zone fut élargie par la suite avec l'occupation du bas val Chisone et de Pignerole qui devint sous Louis XIV une grande forteresse dans le système défensif français. Si on y ajoute le fait que depuis 1601 le marquisat de Saluse, à qui appartenait la vallée du Pô, était sous domination française, on comprend que le Duc de Savoie rencontre de grandes difficultés à maintenir le contrôle sur ce petit îlot vaudois entouré sur trois côtés par la France.

La France, de Charles VIII à Louis XIV, avait un objectif très précis : la conquête de Milan et par conséquent l'occupation du Piémont comme tête de pont dans la plaine du Pô. C'est pourquoi le Duc de Savoie n'était pas en état d'éliminer la présence vaudoise de ses terres, pour ne pas déclencher un conflit aux conséquences incertaines, dans une zone aussi délicate.

Mais il y a plus : en France l'affrontement entre les Catholiques et les Protestants se prolongea bien au-delà de 1559. La situation religieuse resta incertaine jusqu'à ledit de Nantes (en 1598) par lequel Henri IV reconnu la minorité protestante et en conséquence renforça les Églises du Dauphiné, et ce aux portes des Vallées vaudoises. C'est seulement la révocation de cet édit en 1685 et l'accord qui s'en suivit entre la France et la Savoie qui participera à la destruction de la présence vaudoise, tant dans le val Pragelas que dans les Vallées savoyardes.

Glorieuse_Rentree.JPG (169811 octets)Mais le retour des exilés vaudois (dit "la Glorieuse Rentrée") durant l'été 1689 est dû à cette complexe situation politique de frontière. En fait les Vaudois furent aidés dans la réalisation de ce projet par les Puissances protestantes (Angleterre et Pays Bas) qui avaient pour objectif de contrer l'expansion de la France en se servant du Piémont. Celui ci avait aussi intérêt à se libérer de la tutelle française. En conséquence, les Vaudois sont utilisés pour faire pression sur le Duc de Savoie afin qu'il fasse la guerre aux Français. Le fait d'être sur une frontière politique et confessionnelle offre certains avantages.

Ceci conduit à une troisième considération : la protestation internationale. De fait, tous les pays protestants se sentirent partie prenante d'une manière plus ou moins forte dans la question vaudoise. Les plus directement concernés étaient tout naturellement les huguenots français, Genève et les Cantons suisses. L'Angleterre de Cromwell et de Guillaume II, ainsi que les Pays-Bas furent aussi présents dans les moments particulièrement difficiles pour les Vallées vaudoises. C'est leur intervention qui a fait qu'ils ont survécu.

On peut s'interroger sur le pourquoi d'un intérêt aussi prolongé dans le temps de la part de pays aussi éloignés du Piémont. La raison doit en être recherchée dans la valeur d'image, de symbole, qu'avaient les Vaudois dans le monde Protestant de l'époque : c'était la plus vieille communauté non Catholique d'Occident. Ils étaient restés au cours des siècles " les témoins de la vérité" (ainsi s'intitulait un livre célèbre d'un auteur espagnol, Mattia Falco Illirico). Ils étaient comme un maillon qui réunissait le présent et le lointain passé. Jean Léger, dans sa célèbre Histoire des Vaudois prétendait même que les Vaudois avaient gardé la foi chrétienne dans sa pureté depuis l'époque des apôtres.

Un événement de l'histoire contemporaine peut nous aider à comprendre cette situation. Lorsqu'en 1958 les Russes bloquèrent les voies conduisant à Berlin pour annexer la ville à l'Allemagne communiste, les Alliés créèrent un pont aérien et pendant des mois ils ravitaillèrent la ville isolée. L'importance de Berlin sur le plan de la stratégie militaire était nulle et politiquement ce n'était qu'un petit coin de l'Allemagne fédérale. Sauver Berlin signifiait cependant sauver un symbole, celui de la liberté. Cette identification entre le sauvetage de Berlin et la cause de la démocratie fut très bien exprimée par Kennedy, lors d'une de ses visites à cette ville, lorsqu'il dit: "Je suis berlinois".

De la même manière, tous les Protestant européens des XVI ème et XVII ème siècle auraient pu dire: "Je suis Vaudois", reconnaissant dans ce coin des Alpes la base de sa propre foi évangélique.

Chaque mouvement de renouveau et de réforme fut étouffé dans les états italiens de la moitié du XVI ème siècle. Les Vaudois du val Pragelas furent soit expulsés entre 1680 et 1730, soit enfermés dans les montagnes du Piémont. Il ne restait alors en Italie plus aucune trace de Communauté Évangélique. Commença alors la période du "ghetto" qui dura jusque' en 1848, date à laquelle prit forme le mouvement d'unité nationale.

[En ce qui concerne les Pâques piémontaises de 1665 : A. Jalla, "I luogi dell'azione eroica di Giosuè Gianavello" (les lieux de l'action héroïque de Josué Janavel), opuscule de 1940; sur Gianavello (Janavel); F. Jalla, "Giosuè Gianavello" (Josué Janavel), opuscule de 1991; sur les années de l'exil : B. Peyrot - G. Tourn, "Dalla Revoca al Rimpatrio, gli anni difficili" (de la Révocation à la Glorieuse Rentrée, les années difficiles), opuscule de 1986; G. Gonnet, "Dalla Revoca al Rimpatrio, Prigiona ed espatrio" (De la Révocation à la Glorieuse Rentrée, prison et exil), opuscule de 1987; sur le "Rimpatrio" (la Glorieuse Rentrée) : C. Pasquet, "Dalla Revoca al Rimpatrio, il rientro" (De la Révocation à la Glorieuse Rentrée, le retour), opuscule de 1989.]

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4. LE GHETTO

Pourquoi le mot "ghetto"? Ce mot indique, comme on le sait, les quartiers des villes européennes, certains très anciens comme ceux de Venise ou de Rome, où les Juifs étaient relégués et contraints de vivre. Nous pouvons l'utiliser dans notre cas, uniquement comme référence, parce que les conditions dans lesquelles vécurent les Vaudois sur leurs montagnes au XVIII ème siècle étaient en tout point semblables à celle des juifs, même règles et même discrimination : interdiction de sortir sinon pour travailler, interdiction d'exercer une activité commerciale, d'aller à l'école, d'accéder aux charges publiques. En totale violation de ce que nous considérons aujourd'hui les droits élémentaires, ils avaient l'obligation de fêter toutes les fêtes catholiques bien que n'appartenant pas à cette confession, l'interdiction d'avoir leurs propres cimetières (les morts doivent être enterrés dans la campagne sans cérémonie ni cortège). Ils devaient même subir cette loi paradoxale qui imposait que les enfants illégitimes soient soustraits à leur mère et élevés dans la religion catholique, puisque c'était celle du souverain.

Cette règle se maintint encore après la parenthèse de liberté et d'égalité ouverte par la Révolution Française (que les Vaudois accueillirent très favorablement), et de Napoléon.

Dans la période dite de la Restauration, le gouvernement savoisien essaya de remettre en vigueur ces lois par des dispositions qui semblent aujourd'hui ridicules : il suffit de se souvenir de la palissade des "Blonats". De quoi s'agit-il ? La paroisse vaudoise de Saint Jean avait son ancien temple au "Ciabas". Sous le gouvernement napoléonien elle avait obtenu l'autorisation de construire le temple actuel aux "Blonats" (i Bellonati pour le dire suivant la mauvaise toponymie actuelle). Inauguré en 1807, il avait résisté au tremblement de terre de 1808 et se trouvait encore là au retour d'exil de Victor Emmanuel I.

Ce serait un péché de le faire démolir (les "Savoie" ont toujours été d'une parcimonie extrême). On pouvait le fermer. Le laisser en service était faire offense à la religion d'État et par-dessus tout au curé qui était incommodé par les chants psalmodiés. On eut recours à un système bien italien pour feindre et ne pas voir. On décida de le cacher à la vue. Une palissade fut érigée devant (bien entendu aux frais des Vaudois), le cachant aux yeux du monde, tout du moins pour quelques années, jusqu'à ce que le temps et les intempéries aient résolu le problème.

Comme on l'a dit, les règles sur les funérailles étaient strictes dans le ghetto, mais encore plus à l'extérieur : le Vaudois hérétique ne pouvait pas être accueilli dans la terre consacrée du cimetière (comme les suicidés et les condamnés à mort) mais devait être enterré hors de la clôture. Ce n'était pas "un chrétien", mais une immondice à jeter à la décharge. Comment faire en ce qui concerne le baron Frédéric von Leutrum quand il mourut en 1755 ? C'est le commandant en chef de l'armée sarde. Il a été le défenseur de Cunéo pendant la guerre de sécession d'Autriche (1744). Il est aimé et estimé à la Cour et par les troupes. De religion évangélique, il ne peut pas être enterré. Il est impensable de le jeter à la décharge ! Le souverain résolu le problème d'une manière convenable, en faisant transporter le corps de son officier en terre vaudoise ou il trouva une sépulture décente dans le temple de Ciabas

[Il était de coutume à cette époque d'enterrer les personnages importants dans les églises. Dans le temple du Coppier se trouve la tombe d'un autre officier d'origine huguenote au service des "Savoie", Monsieur de Rouzier]

De l'événement du "Baron" est né la fameuse chanson :

 Signor lo Re

quand l'a savu ch'baron Litrun l' era malavi

comanda carosse e carosé Baron Litrun l'é 'ndà trové

.....

o disme un pÒ, barun Litrun

o vost nen che ti batezo?

Faria vni l'vesco d'Turin

mi sereria per to parin

Baron Litrun ja bin dit

Sia ringrassià vostra corunha

mi poss mai pi ruvè a tant:

o bun barbet, o bun cristian.

Mi lassereu per testament

ch'a mi sotero an val Luserna

An val Luserna am soteran,

Dova 'l mé cheur s' arposa tant

[Noter l'opposition : bon chrétien - bon barbet. Pour le Piémontais qui chante, un barbet ne peut être chrétien, c'est autre chose]

Pour rester sur le thème des sépultures on peut se rappeler le cimetière protestant de Torre Pellice (La Tour), qui jusqu'à 1880 se trouvait à l'emplacement de l'actuelle place Muston. Au regard de la loi il n'aurait pas du exister, parce que le village, comme tout le fond de la vallée était hors du territoire vaudois. Cependant il existait parce que d'une certaine façon il se trouvait sous la juridiction de l'ambassade de Prusse (comme la chapelle de Turin). C'était un morceau d'Europe en Piémont. C'est pourquoi la croix de pierre qui se trouvait au centre (aujourd'hui dans la partie vaudoise du nouveau cimetière) comporte une inscription en caractères gothiques et en langue allemande : "jenseits ist meine, e Hoffnung", mon espérance est dans l'au-delà. Ce fut le cimetière valdo-prussien de Torre Pellice qui accueillit la tombe du général Beckwith et celle d'un grand ami et protecteur des Vaudois pendant cette période, l'ambassadeur "Waldburg-Truchess" (transféré-elle aussi par la suite dans le nouveau cimetière).

 1848, l'année de la liberté?

En 1848, année de la révolution libérale et du Statut, Charles Albert, par Lettre Patente en date du XVII février, mit fin à la discrimination protestante dans le royaume, de même que, quelques jours après, il mettra fin à la discrimination touchant la minorité juive. La nouvelle, qui avait filtré par l'intermédiaire des milieux diplomatiques, fut annoncée dans les Vallées le soir du 24 par le pasteur Bret, aumônier de l'ambassade de Prusse. Cela provoqua naturellement un grand enthousiasme. Dans la journée du 25 fut donnée une fête avec cortège, culte de reconnaissance et banquet. La population catholique (et même son clergé) y participa souvent. Naturellement la manière la plus économique pour manifester sa joie était d'allumer des feux. Cette tradition s'est maintenue jusqu'à nos jours. On pratique encore ainsi ce soir-là. Elle a même bénéficié d'un renouveau ces dernières années. Les feux font partie intégrante du panorama folklorique du "Pinerolese"

On dit habituellement que les Lettres Patentes de Charles Albert ont donné la liberté aux Vaudois. Ce n'est pas exact, pour ne pas dire que c'est une erreur. Elles établissaient que les Vaudois étaient admis "à jouir de tous les droits civils et politiques...à fréquenter les écoles dans et hors de l'université et à obtenir les degrés académiques". Cela signifiait qu'ils étaient égaux aux autres étudiants du Royaume. "Pour ce qui concerne l'exercice du culte et les écoles dirigées par eux-mêmes, rien n'est cependant indiqué". Cela signifiait que la religion évangélique était légitime ("tolérée" dira ensuite la loi), mais uniquement en privé. Personne ne serait mis en prison pour le motif de lire la Bible ou de chanter un hymne chez soi. On se demande comment cela aurait été possible ? En Piémont non, mais en Toscane oui. Deux vieux époux florentins, François et Rose Madiai, furent arrêtés en 1851 parce que surpris par la police grand-ducale en train de lire ensemble l'Évangile à des amis. Ils furent condamnés puis expulsés de Toscane grâce à l'intervention des ambassades des Pays Protestants, en particulier d'Angleterre, où ils trouvèrent refuge, y faisant grand bruit et couvrant éternellement d'infamie la cour grand-ducale.

Cela n'aurait pas été possible en Piémont après les Lettres Patentes, parce que l'influence des forces libérales était trop importante; mais la liberté religieuse avait du mal à faire son chemin. La persistance de "l'illiberalité" est mise en évidence par certains faits. Cependant on construit les premiers temples en dehors de la zone des Vallées. Celui de Torre Pellice (La Tour), en 1854, ne posa pas de problème vu sa position géographique, mais celui de Turin fut au centre d'un débat enflammé. Le projet provoqua la protestation indignée de la noblesse piémontaise et la violente opposition du clergé catholique. L'édifice que nous voyons aujourd'hui sur le cours Victor Emmanuel II, fut réalisé uniquement grâce à l'intervention influente du général Beckwith et aux pressions diplomatiques. Le gouvernement piémontais céda, ne pouvant pas se montrer bigot et réactionnaire face à l'opinion publique européenne juste au moment où il avait besoin de son appui pour sa politique d'unité nationale. [A. Jalla, "I valdesi a Torino cento anni fa, in occasione del centinario del loro tempio" (Les Vaudois à Turin il y a cent ans, à l'occasion du centenaire de leur temple), opuscule de 1954].

A Pignerole au contraire, l'autorisation d'édifier un lieu de culte fut concédée en 1855, à la condition que l'édifice n'ait pas l'aspect d'une église et que l'accès en soit interdit au public. Jusqu'à 1929, date à laquelle le local fut transformé en rez-de-chaussée (dans sa forme actuelle) grâce à l'ouverture de la porte sur la rue, la salle de culte était au premier étage, accessible par un escalier intérieur. L'édifice, privé d'inscriptions ou de croix, ne ressemblait en rien à un temple. "Il ressemblait à une commode avec les pattes en l'air", disait le premier pasteur, Giorgio Appia.

Autre exemple de cette situation : les misères des Cereghini ou de l'amiral Packenham. Les premiers sont d'une famille de Ligurie qui se convertit en lisant l'Évangile. Ils commencèrent à distribuer et à vendre des Bibles sur les marchés, contrevenant ainsi à la loi (toujours en vigueur) qui interdit la propagande religieuse. Il passèrent en procès, et furent mis en prison, provoquant un cas judiciaire qui enflamma l'opinion publique et se conclut par leur acquittement. L'amiral au contraire qui habite à Gênes et distribue des traités religieux avec le médecin Marrughi est arrêté, traîné au tribunal et expulsé en tant que citoyen anglais alors que le ressortissant sarde est condamné à trois ans de prison.

[Sull'emancipazione (Au sujet de l'émancipation) : Davide Jahier, "L'emancipazione dei valdesi" (L'émancipation des Vaudois), opuscule de 1922; "Bollettino dell'emancipazione" (le livret de l'émancipation), Société d'Histoire Vaudoise, 1898].

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5. ÉVANGÉLISATION

Malgré ces limites et ces conditionnements, la présence vaudoise s'élargit rapidement au-delà des confins du "ghetto", en suivant la route de l’unité italienne , en Lombardie, en Vénétie après la II ème guerre d'indépendance, en Toscane après les plébiscites, en Sicile peu de temps après le débarquement des "Mille", à Rome après 1870. C'est ainsi que commença en Italie la troisième expansion du valdéisme qui s'est faite peu à peu, plus large et plus complexe parce qu'unie à celle d'autres Communautés évangéliques, rejointes (en Italie) depuis le siècle dernier jusqu'à aujourd'hui.

Comme aux époques précédentes, celle des Communes ou celle de la Renaissance, mais aussi dans l’époque contemporaine, du Risorgimento à la Résistance à la République, les Vaudois ont toujours compris leur présence dans la vie de la Communauté civile, la Cité, l'État, comme une présence responsable. Ils se seraient fort bien identifiés aux dires de cet homme politique du XIX ème siècle qui affirmait: "L'Italie est faite, il faut maintenant faire les italiens". Cela se traduit par une collaboration avec tous ceux qui s’engagent pour la croissance morale et spirituelle de la communauté nationale, pour faire sortir le pays de son isolement culturel, de sa fermeture traditionnelle, pour l’aider à entrer dans le monde moderne, pas seulement du point de vue des technologies, mais des mentalités. Faire "les Italiens" dans les premières années de l’unité signifiait surmonter trois obstacles : la superstition, l’ignorance, la "délégation", qui signifient le manque de libertés, de conviction, de responsabilité.

Lutter contre l’ignorance a nécessité d’accomplir un effort immense, par rapport aux faibles forces et à la dimension minime de la communauté vaudoise, non seulement pour la diffusion de la Bible (dont on a déjà parlé), mais par la création d’écoles. Partout où les vaudois ont constitué une base opérationnelle, ils ont au minimum ouvert une école, de Viering en val d’Aoste à Venise, de Rio Marina dans l'île d’Elbe à Grotte en Sicile. Dans ces écoles, ils ont accueilli, instruit, éduqué la population de l’endroit, indépendamment de sa confession religieuse. Des centaines de gamins et de gamines ont transité par les écoles vaudoises, apprenant non seulement à lire et à écrire, mais aussi à connaître l'Évangile, sans pour autant devenir Vaudois, sans être conditionnés ou mis en dépendance par leurs enseignants. C’est la preuve d’un enseignement qui non seulement libérait de l’ignorance, non seulement fournissait l’instruction, mais aussi enseignait la liberté.

Ce ne fut pas diffèrent en ce qui concerne le combat contre la superstition pour une foi chrétienne plus authentique, plus pure, plus élevé dans le sens de la fidélité à l'Évangile. Les pratiques religieuses, qui pour beaucoup se rattachent aux traditions locales, l'ethnographie, les cultes ancestraux, les cultures méditerranéennes (mais qui n’ont rien à voir avec la foi chrétienne), n’ont pas été intégrées par les communautés vaudoises qui se sont peu à peu constituées sur le territoire national, non par esprit de critique, de suffisance, mais par soucis de cohérence. Depuis quelques décennies on assiste en Italie à une revalorisation de la religion populaire et des formes spontanées de la vie religieuse. On cherche en quelque sorte à les valoriser sous forme d’expressions naturelles, immédiates et pour cela certainement plus authentiques vis à vis des pratiques institutionnelles. Les Vaudois ont par contre toujours considéré que la superstition empêche l’élévation dans la foi, maintient le croyant dans l’infantilisme et la dépendance, dans sa sincérité même et dans sa conviction.

L’emprise de la prédication vaudoise a peut-être été encore plus importante en ce qui concerne le combat contre la "délégation" et en faveur de la responsabilité. L’idée si présente dans la culture italienne de déléguer à d’autres les choix, les décisions, et de s’appuyer sur des recommandations, des protecteurs, des parrains, est contraire à la maturité de citoyens libres, faisant partie d’une République moderne. Cela est, de surcroît, contraire à l’esprit de l'Évangile. La foi est sans cesse une décision , un engagement qui ne peut se déléguer à d’autres. Personne ne croit à ma place, personne ne peut assumer mes choix. Ce n’est pas par hasard, que les Vaudois ont toujours été opposés aux concordats entre l'État et l'Église, et ont au contraire toujours parrainé la séparation nette entre les deux pouvoirs à l’exemple des États Unis d’Amérique, où les églises vivent exclusivement des offrandes des fidèles.

[L. Santini, "Dalla Riforma al Risorgimento. Protestanti e unità d’Italia" (De la Réforme au Risorgimento. Protestants et unité d’Italie), opuscule de 1961; G. Peyrot, "Gli evangelici nei loro rapporti con lo Stato dal fascismo ad oggi" (Les évangélistes dans leurs rapports avec l'État, du fascisme à aujourd’hui), opuscule de 1977; L. Santini, "Gli evangelici italiani negli anni della crisi (1918-1948)" (Les évangélistes italiens dans les années de crises (1918-1948), opuscule de 1981)].

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LIEUX

Dans notre cas, la géographie est intimement liée à l’histoire. Nombreuses en Europe sont les localités où les Vaudois ont vécu et laissé des traces de leur présence. Visiter ces lieux signifie relire leur histoire de différentes manières. Les actuelles Vallées vaudoises du Piémont ont naturellement une place prépondérante parce qu’elles ont été un centre vital à l’époque médiévale, et aussi à l'âge moderne. C’est l’unique espace dans lequel la minorité vaudoise a pu vivre et s’exprimer. Ce n’est cependant pas l’unique lieu de la mémoire.

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Pendant le Moyen Âge les vaudois ont vécu dispersés dans presque tous les Pays. Quand on pense au Vaudisme (ou au Valdéisme comme certains préfèrent dire aujourd’hui) on doit penser à ce grand mouvement de renaissance spirituel qui a parcouru les siècles qui ont précédé la Réforme protestante (à l'époque de Wicliff en Angleterre, de Hus en Bohême, des Fraticelli en Italie). Les Vaudois sont présents à Settino sur la mer du Nord comme à Basilea, à Montaillou (le village du Languedoc qui a inspiré l’écriture de "Le Roy Ladurie") comme à Budapest (le travail de théâtre le plus connu du président de la République hongroise, lettré et poète, raconte le martyre d’une femme vaudoise envoyée au bûcher dans ce pays). Les Vaudois qui vécurent dans les vallées alpines dans les années 1300-1400 n’étaient pas des montagnards isolés, perdus dans les montagnes, mais une petite tache d’une mosaïque qui couvrait l’Europe.

Naturellement dans la plupart de ces régions le souvenir de la présence vaudoise s’est perdu et seuls les étudiants sauraient la relater. Mais il reste encore quatre zones hors des actuelles Vallées Vaudoises, où le souvenir est présent sous des formes diverses et se trouve parfois évoqué avec nostalgie : le Val Chisone, le Luberon, la Calabre, l’Allemagne.

 Pragelas.

La zone la plus proche des actuelles Vallées vaudoises, où la présence vaudoise et protestante a été éradiquée, est le val Chisone (anciennement appelé Val Pragelas du nom de son ultime village).

Comme cela a déjà été dit, jusqu’au début de 1700, la vallée faisait partie du Dauphiné, même si elle faisait partie du diocèse de Turin en ce qui concerne la vie ecclésiastique. Pendant le Moyen Âge, la présence vaudoise y fut très importante. Elle donna naissance à une grande partie des "Barbes". De nombreux manuscrits médiévaux vaudois proviennent de cette vallée. Elle subit beaucoup d’actions répressives, principalement la croisade de Cattaneo en 1484. [G.Merlo, "Val Pragelatto 1488", opuscule de 1988].

Il faut noter que vers 1550 (20 ans après Chanforan) le Pragelas devint protestant et que cette transformation religieuse donna à la vallée un caractère européen : réquisition des biens ecclésiastiques, les églises transférées au Culte réformé, la gestion de la chose publique transférée à l’autorité communale. Les conséquences ? La disparition totale du culte catholique. C’est le seul lieu en Italie et un des rares en France qui fut pour presque un siècle entièrement Protestant. La religion catholique fut réintroduite au XVII ème siècle, par la volonté des rois de France, grâce à des chantages, des pressions et des chicanes juridiques. La foi protestante disparue après les édits de Louis XIV en 1685 et ceux de Victor Amédée II en 1715 et 1730.

La foi réformée disparut mais aussi la mémoire. Aucune trace du passé vaudois ne survécut et la population victime d’un exil forcé ne garde qu’une tradition folklorique intemporelle. Les Vaudois du Pragelas ont gardé leur mémoire dans les colonies allemandes. [G.Mathieu, "Il candeliere sotto il moggio, ossia vicende storiche ed estinzione della fede valdese in Val Pragelato" (Le chandelier sous le boisseau, c’est-à-dire événements historiques et extinction de la foi vaudoise en Val Pragelas), opuscule de 1946.]

 Würtemberg

C’est là que les "pragelans" ont transféré leur communauté par vagues successives. Au moment de la Révocation de ledit de Nantes, en 1685, après l’expulsion des "Vaudois suisses" en 1687, après la reconquête du Val Chisone par Victor Amédée II en 1690 (Villar Perosa, Pinasca, Dubionne étaient alors des villages vaudois, et leurs habitants ont fondé en Allemagne: Pinache, Gross-Villar, Klein Villar), au moment de l’annexion du Pragelas au Duché de Savoie en 1714 et enfin en 1730, avec le dernier édit qui interdisait la profession de la "foi réformée" sous peine de confiscation des biens et d’envoi aux galères. Ce fut une lente et progressive hémorragie de la vallée, qui dura 45 ans.

Dans les terres du Würtemberg et de l’Assia les "pragelans" reconstruisirent leur communauté, maintinrent les traditions, le culte, la langue du pays d’origine qu’ils reviennent encore aujourd’hui visiter avec une nostalgie émue. [A. Jalla, "Le colonie valdesi in Germania nel 250° anniversario della loro fondazione" (Les colonies vaudoises en Allemagne lors du 250 ème anniversaire de leur fondation), opuscule de 1949]

 Luberon

Destin semblable, mais combien plus tragique, fut celui des groupes vaudois du Luberon (région de collines, située entre Durance et Rhône, près d’Apt). Ils s’y étaient installés au XV ème siècle, venant des hautes vallées du Dauphiné et du Piémont. Ils étaient demandés par les seigneurs du lieu, qui voulaient mettre en valeur leurs terres.

Ils surent les transformer par leur labeur, et c'est certainement pour cette raison qu'ils jouirent de protection et purent pratiquer leur foi sans grandes difficultés. L’attention des forces cléricales de la région fut attirée vers les années 1540. Après une alternance de périodes de menaces et de silences, le Parlement d’Aix décréta leur condamnation. Elle se concrétisa par l’expédition militaire de l'été 1545, qui mit à feu et à sang le pays, dispersant la population vaudoise. De Merindol, un des principaux bourgs vaudois, ne subsiste aujourd’hui que des ruines sur la colline, dans un paysage provençal doux et ensoleillé.

[Ces lieux furent régulièrement visités par des groupes de pèlerins venant des Vallées, sous la direction de la Société d'Études vaudoises (dernière visite à l’été 1992). Le souvenir de ce martyre n’a réapparu que ces dernières années. Une Association historique a été créée (La Société d'Études Vaudoises et Historiques du Luberon) qui garde la mémoire de cette page d’histoire. Y est associé un musée, à Mérindol]

 Guardia Piemontese

Le visiteur qui descend le long du littoral de la mer Tyrrhénienne, en arrivant près de Paola, ne peut pas manquer de voir une grosse bourgade qui domine la région du haut de la montagne sur laquelle elle est construite: Guardia Piemontese. C’est le bourg vaudois de la province de Cosenza le plus important et le plus peuplé. Les Vaudois, installés au XIV ème siècle dans cette région boisée et sous-développée, étaient originaires du Dauphiné et de Provence. Ils furent appelés par les "AngiÒ", nouveaux seigneurs de Naples.

Par cette immigration de paysans originaires de la région provençale, ils espéraient régler deux problèmes : mettre en valeur des terres peu riches et former un réseau de personnes sûres dans ces zones "chaudes" du nouveau royaume des Pouilles, afin qu’ils puissent fournir une résistance face à d’éventuelles attaques de l’extérieur.

Les Vaudois du Royaume de Naples vécurent des décennies en pratiquant leur religion sans être importunés, et ce jusqu’à la Réforme, où, suivant l’exemple des frères du Piémont et du Dauphiné, il se montrèrent au grand jour, et osèrent affirmer publiquement leur identité. La réaction du pouvoir espagnol, qui entre temps avait remplacé les "AngiÒ", fut immédiate. La conclusion inévitable fut le massacre.

Le maître et le pasteur, envoyés par Genève pour organiser la communauté, moururent sur le bûcher. Le premier à Messine, le second (Jean Louis Pascale), à Rome. De ce dernier on a conservé quelques lettres écrites en prison. C'est un émouvant témoignage de sa foi.

Du passé Vaudois de Guardia il ne subsiste que quelques souvenirs et la langue locale, restée jusqu’à quelques année une petite île de langue occitane dans le monde calabrais. Aujourd’hui l'Église vaudoise possède à Guardia, près de la "Porta del Sangue" (dénommée ainsi en souvenir du massacre), une hôtellerie et un centre culturel appelé "Gian Luigi Pascale". [T. Balma, "G.Luigi Pascale apostolo in Calabria, martire a Roma" (G. Luigi Pascale apôtre en Calabre, martyre à Rome), opuscule de 1960.]

 Amérique

Comme des millions d’Italiens, les Vaudois eux aussi émigrèrent pour rechercher une installation et du travail. La consistance numérique de la communauté dans les Vallées vaudoises a fait que le nombre d'émigrants originaires de cette région a été supérieur à celui des autres parties de l’Italie. Établis dans les pays qui ont connu le grand flux migratoire italien : France, Suisse romande, Amérique, ils avaient pour eux deux avantages : la connaissance du Français et la confession religieuse qui leur a permis de s'insérer sans difficultés dans le milieu ambiant et dans les Communautés évangéliques. Ils se limitèrent à fonder des Associations afin de maintenir vifs les liens avec le pays d’origine.

Le cas de l’émigration en Uruguay sur le Rio de La Plata est au contraire tout à fait particulier.

Là, s’implantèrent vers les années 1850-60 quelques familles provenant de Villar Pellice. Par un processus d’agrégation de compatriotes, caractéristique du phénomène migratoire, d'autres familles se rajoutèrent. En peu de temps se constitua une "colonia" qui s’organisa tout de suite sous l’aspect religieux.

Dans cette situation tout à fait nouvelle, sans obligations et sans contraintes, les colons reproduisirent la petite société des villages d’origine, construisant une école comme premier lieu symbolique de leur identité, en confiant la direction au plus instruit. L’école fut non seulement le centre de l’éducation enfantine mais de la vie sociale du groupe. Seulement plus tard, quand fut atteint un niveau de stabilité économique suffisant, on pensa à construire une chapelle pour la vie religieuse. Peu de temps après des pasteurs furent envoyés en Amérique du Sud. Ils organisèrent de nouvelles communautés. On rencontra rapidement une situation singulière qui nous surprend aujourd’hui : les premières paroisses du district de Colonia en Uruguay furent ajoutées à la liste de celles des Vallées vaudoises, si bien qu'après la dernière, Villar Pellice, on trouve Colonia Belgrano. Le temps passant, les "colonies" augmentèrent en nombre et s’organisèrent de manière toujours plus autonome. Jusqu’à la deuxième guerre mondiale, les Vaudois d’Uruguay et d’Argentine restèrent étroitement unis à ceux d’Italie.

Le Synode était unique et des délégués de ces paroisses y participaient.

Le conflit sépara complètement les deux mondes et les "sud-américains" prirent conscience de leurs responsabilités et de leur autonomie. Aujourd’hui, les paroisses du Rio de la Plata mènent leur vie d’une manière indépendante, en maintenant cependant d’étroites relations avec les Églises vaudoises d’Italie. Il ne s’agit pas seulement de liens de fraternité générique, mais d’un lien de nature juridique et organisationnel. Les deux branches de l'Église vaudoise, en Italie et en Amérique du Sud, restent unies dans leurs racines historiques et dans la confession d’une foi commune. [T.G.Pons, "Cento anni fa alle Valli. Il problema dell’ emigrazione (Il y a cent ans aux Vallées. Le problème de l'émigration), opuscule de 1956"; M. Dalmas, "I Valdesi nel Rio de la Plata" (Les Vaudois du Rio de la Plata), opuscule de 1982].

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MINORITÉ

Minorité

Si, comme il est dit ci dessus, la communauté vaudoise est caractérisée par un facteur religieux, pourquoi parler de minorité et non pas d’église ? Parce qu’à notre avis, les Vaudois dans la situation italienne d’aujourd’hui présentent ces deux caractéristiques : communauté religieuse qui a réalisé sa propre expression de foi chrétienne, mais aussi minorité qui au travers de sa longue histoire a élaboré une vision de la vie, une sensibilité, une identité particulière à une conscience minoritaire.

C’est cela, et non l’entité numérique, qui caractérise une minorité : la conscience d’une identité qui conduit à une cohésion interne, une conscience de soi, une rigueur constante. Il serait certes excessif d’affirmer que les Vaudois ont élaboré une culture qui leur soit propre. Ils restent toujours dans le cercle de la culture chrétienne européenne. Cependant, il n’est pas impossible d’identifier quelques traits particuliers de leur caractère et de leur comportement.

Un deuxième élément légitime ce terme : la conscience d'être un contrepoids. Une minorité se définit par rapport à une majorité : elle est ce que la majorité n'est pas. C'est ainsi que les pouvoirs religieux et politiques ont considéré les Vaudois pendant des siècles : réalité dangereuse, à marginaliser, même à supprimer. L'idée qu'une minorité doive être défendue et qu'elle soit porteuse de valeurs dans le contexte social, est une idée moderne qui a du mal à cheminer dans la conscience de chacun.

Un troisième élément caractérise enfin la minorité : une conscience d'engagement et d'initiative, une affirmation bien plus forte que celle de la majorité qui l'entoure. Face à la masse qui les refuse et au pouvoir qui les marginalise, les Vaudois ont acquis une sensibilité particulière vis à vis des problèmes qui touchent à la liberté, aux droits et à la justice civile. Ils ont, en plus, la conscience de devoir les défendre, les soutenir, les faire connaître. Ce n'est pas uniquement à cause de l'opinion publique piémontaise d'abord, italienne ensuite, que la minorité vaudoise à été associée à ces valeurs et à la bataille pour la liberté.

 École

Le premier élément qui caractérise la minorité vaudoise fut indiscutablement son attachement à la culture. Dire culture signifie école. Tous les Vaudois connaissent (même si maintenant c'est seulement de nom) les écoles Beckwith, ces petites constructions réalisées grâce à ce singulier officier anglais, qui, mutilé à Waterloo, passa sa vie en Piémont, la consacrant au renouveau culturel et social de la population vaudoise. Certaines sont tombées en ruines, d'autres vendues, beaucoup subsistent, utilisées maintenant pour les réunions du soir de la communauté.

[ Parmi les plus intéressantes à visiter, parce que restée intacte et facilement accessible, est celle du village Odin-Bertot à Angrogne, le long de l'itinéraire historique de la "Ghisa della tana"].

Leur aspect modeste, qui se rapproche des édifices qui l'entourent aujourd'hui, ne doit pas induire en erreur. A l'époque, elles étaient avant-gardistes : murs blanchis, de grandes fenêtres, un poêle, un dallage. Tout ça dans des villages ou en plus de la taxe sur la farine, on payait une taxe sur la lumière provenant des fenêtres (cela explique pourquoi les embrasures des fenêtres n'étaient jamais perpendiculaires mais inclinées : afin d'introduire plus de lumière à l'intérieur).

Ce qui frappe, c'est que comme la partie visible d'un iceberg, elles sont la partie visible d'un grand projet d'alphabétisation qui conduisit les Vallées vaudoises à un niveau qu'en Europe seule la Prusse atteignait (80% d'alphabétisés).

A cette œuvre de promotion culturelle, qui demandait des fonds considérables pour les édifices, pour les appointements des maîtres, pour le matériel didactique, Beckwith donna une contribution fondamentale. Ce n'est pas un hasard si son portrait imprimé (reproduit à des centaines d'exemplaires) se trouvait partout, dans les écoles, dans les lieux d'activités, dans les presbytères, les maisons privées. Il était représenté en pied, appuyé sur sa canne, avec en fond une de ces petites écoles qu'il qualifiait ironiquement "d'université des chèvres".

Ce programme de culture vaudoise de fin 1800, qui se poursuivit jusqu'au début de 1900, ne peut pas être réduit à ces deux références : la petite école de village et Beckwith. Toutes les petites écoles disséminées dans les vallées ne sont pas dues à Beckwith et ne furent pas le fruit de son intervention. A ce projet de renouveau participèrent activement les autorités, tant de l'Église que communales, ainsi que la population. La lucidité de Beckwith (Il faudrait dire son génie) fut de poser un problème et de mettre en mouvement un processus de développement qu'il réalisa tout autant avec les personnes susdites qu'en expliquant l'action et en suscitant des collaborations.

En deuxième lieu, cette instruction élémentaire, justement comprise comme le point essentiel des études, était dans l'acte, les prémices de la révolution culturelle. Comme un croisement routier, la petite école Beckwith ouvrait le chemin vers diverses directions. C'était malgré tout celui des études supérieures. L'enfant vaudois qui avait terminé sa préparation à l'école paroissiale, allait dans une des deux localités : Pomaret où La Tour, ou il existait une "scuola latina", c'est à dire l'école moyenne du temps. Le parcours d'études se terminait au "Collegio" à La Tour. Dans ce cas aussi, comme pour la petite école locale, l'intervention externe fut essentielle, et dans l'immédiat, pour le moins encore plus décisive.

Stephen Gilly s'intéressa au problème de l'instruction "médiane-supérieure". C'était un chanoine anglais venu visiter les vallées en 1823. Il fut fasciné par les vicissitudes de cette communauté minuscule, émerveillé par sa survivance dans l'histoire, et troublé par la misère qu'il voyait sous ses yeux. De retour dans son pays, il décida d'intervenir. Comme nombre de ses concitoyens de l'époque, il consigna ses impressions de voyage par des dessins, dans un livre : "Narrative of an Excursion to the Mountains of Piedmont". Ce livre eut un tel succès dans l'opinion publique anglaise, qu'il créa un intérêt pour la cause vaudoise. Un des problèmes du ghetto avait été la nécessité de faire étudier à l'extérieur les enfants sélectionnés pour cette activité. La solution était pourtant de créer sur place une école supérieure qui pourrait les conduire à l'université. Gilly projeta et réalisa à cette fin son "Collegium Sanctae Trinitatis". La grande bâtisse que nous voyons aujourd'hui à l'entrée de la rue Beckwith, à La Tour, se trouvait alors en pleine campagne, entourée de son grand pré vert. Aujourd'hui cette pelouse bien tondue sur laquelle se trouve le bâtiment est considérée comme normale, mais à cette époque, quand on faisait une heure de marche pour recueillir une hotte de foin sur les rochers, cet immense espace, réalisé pour permettre aux étudiants de se promener, était une folie. Ce n'était pas le Piémont de Charles-Albert, mais l'Angleterre de Georges VI. Les écoles de Beckwith, les maisons des professeurs avec leur jardin attenant, donnaient l'impression d'être dans le Kent. Mais cela, Gilly le savait. Pour lui l'Institut est un collège à l'anglaise, comme celui d'Oxford mais en plus petit. Ce n'est pas seulement un établissement scolaire, mais un lieu d'études, de formation et d'apprentissage de la vie. De son collège on passa au Collège français (ayant toujours un sens d'école) pour terminer à l'impropre "Colleggio" italien. [A. Comba, "Gilly e Beckwith fra i valdesi dell'ottocento", opuscule de 1990 (Gilly et Beckwith parmi les Vaudois des années 1800)].

C'est la dimension européenne de l'école vaudoise (par son caractère et dans ses finalités) qui la caractérise. Ce haut niveau d'alphabétisation n'est pas particulier à la zone vaudoise. On la rencontre dans toutes les zones alpines du XIX ème siècle, de la Savoie au Queyras. Le cas de Saint-Veran est intéressant. C'est la plus haute commune d'Europe et sa population est mixte de confession. Les garçons émigrent dans la plaine, comme instituteurs, en saison hivernale. C'est l'école en tant qu'instrument d'ouverture culturelle et véhicule des informations du monde européen qui est le fait caractéristique de la zone vaudoise. Cela est rendu possible parce que l'autre pôle de sa vie sociale, l'église, est toujours un opérateur culturel. L'instituteur avait toujours une fonction dans le culte. Il enseignait le chant, gérait la bibliothèque locale. Il fut souvent à l'origine de la constitution d'Associations de jeunes, de chants, d'actions sociales où de promotion culturelle. [L. Micol, "Le scuole valdesi di ieri e di oggi" (Les écoles vaudoises d'hier et d'aujourd'hui), opuscule de 1965; G. Bouchard, "La scuola Latina di Pomaretto 1865-1965" (L'école Latine du Pomaret 1865-1965), opuscule de 1966]

 Français

Une idée très répandue, est que le Français a toujours été la langue des Vaudois et qu'il a quasiment disparu, parce qu'interdit par le fascisme. Une preuve en serait "l'italianisation" de nombreux noms de famille : Rivoir-Rivoria, Benech-Benecchio, etc.

Sur ce point, il y a du vrai et du faux. Les Vaudois du Piémont ont, il est vrai, toujours utilisé la langue française pour deux raisons : historiques et religieuses. C'était inévitable dans une terre de frontière, cernée (comme nous l'avons déjà vu) par Le Royaume de France, et dans un Duché qui vécut pendant deux siècles (du XVI au XVIII ème siècle) sous l'hégémonie française.

A la différence d'autres zones comme le Val d'Aoste, dans les Vallées Vaudoises le français a toujours eu un caractère religieux et non pas civil. N'étant pas une Église évangélique italienne, les Vaudois durent, pour tout, prendre appui sur les églises du Dauphiné ou de Genève, qui, elles, étaient francophones. De ces deux zones vinrent (comme on l'a déjà dit) des secours financiers et militaires lors des conflits avec le pouvoir ducal et surtout un soutien aux activités ecclésiastiques : (bibles et catéchismes venant de Genève). Les jeunes qui se destinaient à devenir pasteur étudiaient à Genève.

Cependant l'aire vaudoise des Alpes resta toujours bilingue, non seulement parce que toutes les relations administratives avec l'État savoisien se faisaient en italien, mais parce que, même dans la communauté vaudoise, la langue italienne fut toujours pratiquée. Il faut cependant se souvenir que la langue parlée par la population resta dans la pratique quotidienne et jusqu'à une période récente, le patois d'origine provençal.

Naturellement, ce "bi-plurilinguisme" a subi des fluctuations dans le temps. Au fil du temps, on assiste à une expansion progressive de la langue française jusqu'à son paroxysme au début de 1800, époque où les Vaudois furent contraints de faire apprendre l'italien à leurs prédicateurs.

Il y eut deux époques d'affirmation progressive de la langue française : la peste de 1630 et la reconstruction après "le Grand Retour" de 1689.

L'événement de la peste est important. L'épidémie (la même que Mazoni a mis en point d'orgue dans son roman "I Promessi sposi" (les fiancés)) décima la population y compris dans la région du Piémont. Des dix pasteurs en activité dans les églises vaudoises, deux seulement survécurent.

L'église de Genève pourvut à leur remplacement, en envoyant des jeunes d'origine française. Ils n'étaient, bien évidement, pas en mesure de parler italien et de ce fait dans leur ministère, ils durent avoir recours à la seule langue française. L'exil en Suisse qui suivit le massacre et la mort en prison de la majorité des Vaudois en 1686, ne fut pas moins lourd de conséquences. Pour avoir vécu de nombreuses années en terre francophone, les survivants accrurent leur dépendance à la langue française et la gardèrent en rentrant dans leur patrie. Très certainement, les décennies de ghetto, de 1710 à 1848, plus que ces moments marquants de l'histoire, imposèrent le français non seulement au niveau religieux, mais au niveau de la culture.

L'intention du pouvoir savoisien était claire : en reléguant dans leur ghetto les Vaudois et les Juifs, en les poussant hors du contexte des nations, il espérait en étouffer la présence. Le résultat fut exactement inverse. Les minorités isolées réagirent pour survivre. Elles renforcèrent leur identité propre par une promotion culturelle et en se prévalant des appuis internationaux.

Les portes de Turin étant fermées, les Vaudois durent se retourner vers Genève, Amsterdam, Londres, où ils n'avaient pas la moindre difficulté à étudier, à commercer puisque la langue européenne de l'époque était le français.

Cette situation se radicalisa ultérieurement, au cours du XIX ème siècle, avec le processus d'alphabétisation populaire réalisé par les écoles vaudoises.

Au XVI ème siècle, c'est à dire après l'impression de la Bible d'Olivetan en français, des prédicateurs comme Giaffredo Varaglia ou Scipione Lentolo continuèrent à utiliser l'italien. Les deux premières œuvres d'histoire des misères vaudoises, celle de Miolo et de Lento sont en italien. C'est cette langue qu'utilisent : Gilles dans la traduction des psaumes pour le culte, Léger dans le prêche à St Jean lors de sa première rédaction de l'Histoire des Églises vaudoises ainsi que le Capitaine Salvagiot, pour se mettre à un niveau plus populaire, lorsqu'il rédigea ses mémoires après l'exil de 1689.

L'usage de la langue française se réduisit progressivement à la fin de la première guerre mondiale, plus par la fermeture des écoles vaudoises et l'influx massif de la scolarité en langue italienne, que par la pression fasciste (encore relativement faible). Les communautés vaudoises s'opposèrent avec beaucoup d'énergie (et avec quelques résultats) à cette tendance en organisant des cours facultatifs, la diffusion de matériel, le maintien du prêche et de l'instruction religieuse en français. Mais la bataille était inégale. L'hebdomadaire de l'Église, "l'Écho des Vallées vaudoises" (fondé rien moins qu'en 1848) en langue française fut suspendu par l'autorité fasciste en 1938 (officiellement pour manque de papier). Le motif réel était évident : l'usage d'une langue étrangère. La publication reprit en décembre 1939 et dans cette période beaucoup d'activités ecclésiastiques passèrent à l'usage de l'italien. La diminution de l'utilisation de la langue française est donc due à la scolarité après la première guerre mondiale, et ensuite après la deuxième, par le développement de la télévision.

L'italianisation des noms de famille se fit jour bien avant la période fasciste. Elle est due à l'incapacité des secrétaires de mairie à comprendre les formes provençales, lié à un nationalisme mal compris. Italianiser les noms de famille, pour ces fonctionnaires zélés, voulait dire "faire l'Italie" en récupérant "à la marge" des individus, par rapport à la masse des citoyens.

Dans ce cas aussi, il faut être attentif : l'orthographe des noms de famille se fixe d'une manière certaine au XIX ème siècle. Avant il est beaucoup plus libre et passe de l'italien au français et vice versa. Le capitaine Salvagiot (en plus d'être Salvagiot) devint Salvagiotto sans problème, pour redevenir Salvagiot.

 Patois

L'importance de la langue française dans les vallées ne doit pas faire oublier que la langue locale est le dialecte occitan et ce dans une zone linguistique englobant au sud les vallées de la province de Cuneo et s'étendant au nord jusqu'à la haute vallée de Suse. Le contexte linguistique plus large est le piémontais. Les tentatives récentes pour entraver la décadence du patois, provoquée tant par son abandon par les jeunes générations que par l'inclusion de termes italiens ou piémontais , n'ont pas montré jusqu'à présent de résultats significatifs.

Dans la culture vaudoise, il existe deux séries de documents d'un intérêt certain du point de vue linguistique (tant occitan que piémontais). Ils sont dus à l'instigation du général Beckwith. Convaincu que la meilleure manière pour apprendre à lire et à écrire était d'utiliser la langue parlée (dans ce cas le provençal) et la Bible étant le livre le plus lu, il confia à l'ami Pierre Bert la traduction de textes sacrés. On édita ainsi à Londres en 1832, la traduction de deux Évangiles : "Li sént Evangile de Notre seigneur Gésu-Christ counforma sén Luc et sent Giuan rendù en lengua valdésa" et du catéchisme : "La soustansa de la storia sénta et dar Cataquismo", accompagnés du texte en français. Le projet n'eut pas de succès parce que les difficultés de lecture étaient importantes et que la classe dirigeante (pasteurs et instituteurs) ne l'encouragèrent pas.

Voilà à titre d'exemple comment Bert traduisit le Notre Père:

 "Notre Per qu'è ar ciel, que toun nom sia santifià, toun régné végna, toua voulentà sia faita su la terra coum ar ciel, douna-nous ogni di nost pan quotidien (per enqueui). E perdoune-nous neusti pecà, perqué nous quietten decÒ li debi à tui quili que nou deven e laisse-nous pa toumba ent la tentatioun mà deslibra-nou dar mal".

Le second projet, orienté vers la langue piémontaise fut plus structuré et plus important.

A la même époque on imprimait en piémontais, toujours à Londres, le pendant des deux textes précédents. Il s'agissait des Évangiles de Luc et de Jean, le catéchisme et deux autres textes : le Nouveau Testament : "l Testament Neuv de Nossegnour Gesu-Christ tradout en lingua piemounteisa" et le livre des Psaumes d'après la traduction italienne de Deodati : "I Liber di Salm dë David tradout ën lingua piemounteisa".

Voici le Psaume 23 dans cette traduction:

 " I Segnour a l'è mè pastour: a më mancherà niente. A më fa arpousé ënt dë pasturai erbous, a më guida al loung d'acque tranquille.

A më ristora l'anima: a më mena për i santé dë giustissia për amour dë so Nom.

Anche i camineissou ënt la val dë l'onmbra dë la mort, i tëmëriou nëssun mal: da gia chë të seus coun mi; toua vërga a më consolou.

Të prountes la taula dënans a mi, ën vista d'i mè inimis: t'ounzes mia testa coun d'eueli: mia coupa a l è piena rasà.

Sicurament, dë beni, e dë benignita a m'acoupagnëran tutti i di dë mia vita, e i abitëreu ënt la ca dël Sëgnour për gran temp".

Dans l'usage de la langue piémontaise (qui possédait depuis longtemps sa littérature), Beckwith avait une intention évangélique évidente : en accédant aux textes bibliques dans leur parler quotidien, tout en ayant en face le texte en italien, il pensait que les piémontais de l'époque entreraient en contact avec l'Evangile. Ceci tenait compte du fait que la majorité des paroissiens de l'époque utilisaient le parler piémontais. Cette expérience eut-elle aussi un maigre succès. Ceci fut la conséquence d'une violente opposition du clergé romain.

[Hormis de temps en temps chez des antiquaires, ces volumes n'existent plus sur le marché. Le seul a avoir été réimprimé à été le " Testament Neuv " que l'on trouve à la Claudiana. Il a été préfacé par Arturo Genre]

 Synode

Un des éléments qui caractérise toujours la vie de l'Église vaudoise est l'assemblée synodale qui se tient annuellement à Torre Pellice (La Tour). Même les moyens de communication de masse en parlent. Il est maintenant habituel de voir dans les programmes télévisés du dernier dimanche d'août le cortège synodal, le prédicateur en chaire, les pasteurs consacrés.

Le synode n'est pas une création vaudoise. Les églises chrétiennes ont toujours eu des synodes ou des conciles, c'est-à-dire des assemblées de responsables convoquées pour discuter et résoudre des problèmes d'intérêt général. Une profonde différence existe cependant au sein du monde chrétien eu égard au fait de savoir qui sont ses représentants et qui les nomme.

Dans les Églises orthodoxes et catholiques, ce ne sont que les évêques, c'est-à-dire "les pasteurs" des églises. Dans les Églises évangéliques ce sont au contraire leurs "représentants". Suivant le principe évangélique qui voit l'église constituée de l'intégralité du peuple de Dieu, ceux-ci sont en partie des ecclésiastiques (ou comme on dit "ministres"), en partie de simples fidèles (ou comme on a l'habitude de dire "laïcs", du mot grec "laos" qui veut dire peuple). Le mode de désignation : la proportion entre laïcs et ministres change en fonction de la tradition ecclésiastique, mais le nombre de pasteurs ne peut jamais être supérieur à celui des fidèles. Le Synode des Églises vaudoises est de ce second type.

Comment se constitue-t-il? Chaque communauté nomme au cours d'une de ses assemblées un ou plusieurs représentants. On choisit le nombre de pasteurs correspondant à l'assemblée. On se réunit dans un lieu et à une date prévue. Comme toute assemblée, le Synode travaille avec un animateur qui conduit les travaux, les discussions, et le vote des points inscrits à l'ordre du jour.

Le Synode est pour l'Église vaudoise, comme pour toutes les Églises protestantes, l'autorité suprême à qui revient le dernier mot pour chaque question touchant à la foi et à la discipline. Il a en quelque sorte les pouvoirs qu'a le pape dans l'Église romaine. Qu'il ait le pouvoir suprême tient au fait que personne ne le convoque mais qu'il se convoque lui-même (alors que pour les Catholiques, il est convoqué par le Pape). La dernière décision prise par l'assemblée est de définir le lieu et la date d'ouverture de la prochaine session.

 De la table à la "Tavola"

Étant donné que l'Assemblée synodale dure une semaine, il est nécessaire d'avoir une structure organisée qui maintient les contacts entre les différentes églises dans la période qui sépare les synodes. C'est un comité qui s'appelle aujourd'hui "la Tavola", d'une expression qui a peu de sens si on n'en explique pas l'origine. Dans l'ancien temps "elle" avait la même composition que le Synode, et la charge d'en exécuter les décisions.

On rapporte que les trois membres directeurs se tenaient à la table de communion, au centre de l'assemblée (le Synode se tenait dans les temples, unique local autorisé par le gouvernement pour les assemblées religieuses). On les appelait "Messieurs les officiers de la table", c'est à dire "les responsables de la table", abrégé ensuite en "les officiers de la table", puis "la Table", ce qui, transcrit littéralement, a donné "la Tavola". On peut mentionner qu'un phénomène analogue se trouve dans la langue anglaise. Le comité directeur d'une association est communément appelé "Board", ce qui signifie littéralement planche, table. Ce mot désigne ceux qui siègent à la table de direction.

Ce "gouvernement" de l'église, (qui se retrouve aussi au niveau de la communauté locale, ou les anciens, et particulièrement les pasteurs sont élus par les fidèles) fait penser au parlement d'une démocratie moderne avec ses Députés, ses Chambres, et son Gouvernement. On pense habituellement que les Protestants, pour être modernes, ont adopté l'idée du système parlementaire, alors que les Catholiques restent ancrés à l'ancien système plus près de la monarchie de droit divin. En vérité c'est exactement le contraire : c'est le système parlementaire qui dérive du synode protestant, et ce n'est pas toujours une belle copie. D'ou le système parlementaire trouve-t-il ses origines ? De l'Angleterre du XVII ème siècle, lorsque pour la première fois dans l'histoire, une assemblée parlementaire choisissait le souverain (Guillaume III) et n'était pas à son service. Ayant l'obligation de conduire à son terme cette transformation révolutionnaire (on parle à juste titre de Glorieuse Révolution), et n'ayant pas de précédent dans le monde politique, les députés choisirent les usages des églises dont ils étaient membres, mis en œuvre lors des synodes. Ainsi le parlement fut pour l'essentiel un synode du monde laïque, politique et administratif. Les mêmes considérations peuvent être utilisées pour le terme "ministre" et pour le système électoral "uninominal" anglais. Le "Minister" est dans l'église anglaise, le pasteur. Le député représente au Parlement un territoire défini exactement comme celui d'une Communauté évangélique au Synode. Le député est celui des candidats qui a obtenu le plus de voix. Le système parlementaire italien est naturellement différent puisqu'il a été fondé plus tardivement, sur le modèle adopté à l'époque de la Restauration de la monarchie constitutionnelle, elle aussi française. Elle a été restructurée entre 1946 et 1948, à une époque où les partis politiques existaient déjà.

Une autre particularité du Synode vaudois concerne le lieu de sa convocation. Dans les églises protestantes, et de ce fait, dans les églises vaudoises, l'habitude est de changer le siège de chaque Synode, pour éviter qu'une ville finisse par devenir (ou croit être) le centre de l'église, la capitale (un peu comme Rome pour les Catholiques). Depuis que la "Casa Valdese" a été construite, le Synode a toujours lieu à Torre Pellice (La Tour) qui a fini par devenir un peu la capitale des Vaudois.

 Torre Pellice capitale?

Que cette petite ville du val Pellice soit aujourd'hui associée à la réalité vaudoise et a fini par devenir un lieu privilégié de sa présence en Italie, est un fait très récent. Jusqu'à 1848, le fond de la vallée, et par conséquent le bourg de "La Tour", ne faisait pas partie de la zone vaudoise. Les Vaudois ne pouvaient même pas y résider. C'est donc tout autre chose qu'une capitale. Il est vrai qu'il y avait eu le précédent du collège, dont la construction, en 1832 avait été concédée d'une manière exceptionnelle parce qu'il s'agissait d'une école. C'est seulement après les Lettres Patentes de Charles-Albert que les Vaudois purent s'établir en achetant des terrains en périphérie entre le centre et Sainte Marguerite. Tous les édifices que l'on peut voir maintenant le long de la rue Beckwith, dans le quartier qui aujourd'hui est la zone vaudoise, ont été construits après cette époque : le temple en 1852, les maisons des professeurs (au style anglais caractéristique) dans les années 40, l'école des filles aujourd'hui "Foresteria" (hôtellerie) dans les mêmes années, la "Casa valdese" (Maison vaudoise) en 1889, le "Convitto" (Collège), aujourd'hui centre culturel, dans ce siècle, en 1922.

L'importance croissante de Torre Pellice est très certainement due à la présence de ces institutions, auxquelles ont peut aussi ajouter l'Hôpital vaudois et le fait que le Synode s'y tienne annuellement. Déjà Edmond de Amicis dans son célèbre reportage "Alle porte d'Italia" (Aux portes de l'Italie), faisait référence à sa visite à Torre Pellice à l'occasion du Synode, mentionnant son caractère international et son atmosphère très insolite pour une petite ville de province. C'est à lui que l'on doit la définition, jusqu'alors jamais démentie, de "Genève italienne". [E Ayassot, "Il primo tempio valdese della liberta. Il tempio di Torre Pellice nel centinario della fondazione" (Le premier temple vaudois de la liberté. Le temple de Torre Pellice lors du centenaire de sa fondation), opuscule de 1952]

 Emblème de la communauté vaudoise

Les églises vaudoises ont aujourd'hui comme emblème un chandelier, avec une chandelle allumée. Autour de la flamme sont sept étoiles et l'inscription "Lux lucet in tenebris" (La lumière luit dans les ténèbres). Il apparut en 1640 au frontispice d'un livre de Valerio Grosso (alors pasteur à Bobbio). On le retrouve une trentaine d'années plus tard dans l’œuvre de Jean Léger, "Histoire des Vaudois des Alpes", mentionné comme "Convallium antiquissima" insigna, emblème très ancien des vallées. Le symbole d'une lampe et la mention d'une lumière dans les ténèbres sont des références explicites à la parole de l'Evangile qui parle de Jésus comme d'une lumière dans le monde (Jean1:5). Les étoiles sont très vraisemblablement une référence à la vision de l'Apocalypse (chap. 1:16), où Jésus est représenté comme un prêtre tenant dans sa main droite sept étoiles, qui symbolisent les églises d'Asie alors persécutées. Les églises vaudoises veulent dire par cette image : nous sommes comme la lampe qui soutient la lumière de l'évangile, nous sommes comme les églises persécutées de l'Apocalypse.

Comment les Vaudois du XVII ème siècle ont-ils eu une telle idée ? Très certainement à partir du blason des comtes de Luserne, à cette époque seigneurs du val Pellice, qu'on appela jusqu'à la révolution française, val des Lusernes, ou val Luserne.

Il s'agit d'une lampe allumée, en latin précisément une "lucerna", avec elle aussi une inscription d'origine biblique : "verbum tuum lampada pedibus meis", ta parole est une lampe à mes pieds (Salomon 119:105). C'est encore l'emblème de la commune de Luserna San Giovanni.

Depuis quelques années, et tout particulièrement depuis la dernière guerre mondiale, s'est répandu parmi les Vaudois et les Évangéliques italiens, un second emblème d'origine protestante : la croix huguenote. Elle était utilisée par les Huguenots français du XVII ème siècle, particulièrement dans les régions du sud de la France, comme ornement personnel, en remplacement des décorations qui leur étaient refusées pour motifs religieux. Elle se compose d'une croix de Malte ou de Provence, dont les quatre bras de longueur égale, sont joints par une couronne formée des "lys de France". Y est suspendu une colombe aux ailes déployées (symbole de l'Esprit Saint).

 Fêtes

La commémoration du XVII février, considéré aujourd'hui comme la fête vaudoise par excellence (à l'exception naturellement des fêtes chrétiennes célébrées aussi par la communauté vaudoise) a eu, au cours du temps, des vicissitudes diverses. Dans les années qui suivirent immédiatement 1848 la concession des Lettres Patentes ne fut plus célébrée en février. On préférait fêter le Statut. La journée du XVII s'est imposée peu à peu sous la pression populaire et eut très longtemps un caractère civil. A la fin des années 1800, elle fut orientée vers les scolaires : c'était le jour où les enfants scolarisés de la paroisse se rendaient depuis les quartiers périphériques jusqu'au centre, avec des banderoles et des tambours, pour écouter des discours et recevoir une gourmandise. Cette dernière, suivant l'évolution des temps, est passé du morceau de pain blanc avec un morceau de fromage (dit improprement gruyère) à la brioche avec des oranges et du chocolat, le tout accompagné d'un petit livret de quelques pages offert "aux enfants des Vallées". Cela constitue l'ancêtre de l'actuel livret du XVII février.

C'est seulement au cours du XX ème siècle que cette journée obtint le caractère que nous lui avons connu jusqu'à il y a quelques années : "falÒ" le soir du 16, cortège se dirigeant depuis les divers quartiers vers le chef lieu, culte au temple avec prêche et participation des enfants, repas communautaire et présentation en soirée d'un travail théâtral inspiré de l'histoire vaudoise.

[Pour la fête du XVII février, voir B Peyrot, "La memoria valdese, fra oralita e scrittura" (La mémoire vaudoise, entre oral et écrit), opuscule de 1992]

Outre le 17 février déjà cité, la communauté vaudoise organise (le 15 août) une rencontre, à caractère religieux et populaire, en extérieur. Comment cela se fait-il, puisque les Vaudois ne célèbrent pas les fêtes mariales [ni l'Assomption de Marie, ni l'Immaculé Conception (ne pas confondre avec la virginité de Marie, affirmée par l'évangile de Luc et reprise dans le Credo)] qui sont des dogmes n'ayant pas de fondements bibliques ? Tout cela remonte au ghetto. Comme nous l'avons rappelé, tous les sujets du Roi sarde devaient observer les fêtes catholiques. Les Vaudois étaient ainsi contraints à ne pas travailler, sous peine de poursuites judiciaires. Certains d'entre eux, animés par l'esprit religieux du temps du "Réveil", décidèrent d'utiliser cette journée pour se réunir et échanger des idées et des projets, en extérieur, afin d'avoir plus de liberté qu'ils n'en auraient eu dans les locaux ecclésiastiques. Ils se donnèrent rendez-vous au col de la Vaccera en ce jour du 15 août 1833.

Cette initiative rencontra la faveur de la population. Elle perdure encore aujourd'hui avec le même caractère de rencontre populaire. On ne fête donc pas la Madone, mais on récupère une fête catholique imposée.

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